Drôle de guerre entre Madrid et Barcelone

Le président de Catalogne a prononcé une déclaration d’indépendance avant de la suspendre immédiatement. Madrid exige des éclaircissements.

Laura Guien  • 12 octobre 2017 abonné·es
Drôle de guerre entre Madrid et Barcelone
© photo : ALBERT SALAMÉ / NOTIMEX

La république catalane tant attendue par le camp indépendantiste n’aura ainsi duré avant-hier que quelques secondes. Après une heure de retard qui laissait déjà présager que le plan ne se déroulerait pas tout à fait sans accroc, le président de Catalogne a finalement pris la parole devant le Parlement, officiellement pour « s’exprimer sur la situation politique ».

Suite à un bref historique des raisons ayant motivé la cause indépendantiste, destiné à la fois à l’opinion internationale et aux opposants au séparatisme, Carles Puigdemont a finalement prononcé la phrase historique tant désirée : « Le peuple a décidé que la Catalogne devait devenir un État indépendant sous forme de République. » Mais moins d’une minute plus tard, cette déclaration indirecte d’indépendance pour le moins vague est suspendue par Puigdemont lui-même afin de permettre dans les prochaines semaines « d’entamer un dialogue sans lequel il est impossible de parvenir à une solution ». Un « oui mais non » qui a semé la déception dans les rangs des soutiens à l’indépendance rassemblés pour suivre le discours devant le tribunal de Catalogne.

Cette passe dans le camp de l’adversaire, sous forme de dernière chance de négociation, n’a pas non plus convaincu Mariano Rajoy. Le chef de l’État espagnol a exigé des éclaircissement au président catalan dès le lendemain, dans une allocution pour le moins péremptoire. « Le Conseil des ministres a décidé de mettre en demeure le président catalan pour qu’il précise si l’indépendance a été déclarée ou non », a signifié Mariano Rajoy avant de fixer au 16 octobre le délai imparti à Carles Puigdemont pour clarifier sa position sur la sécession de la région. « La réponse du président catalan déterminera les événements à venir dans les prochains jours », a-t-il ajouté, laissant en suspens la question de l’application de l’article 155 de la constitution permettant le retrait de l’autonomie de la Catalogne.

Aucune souplesse à attendre du gouvernement central

Avec cette posture, plus subtile que ses précédents mouvements sur la question séparatiste, Mariano Rajoy ne dément ni l’activation de l’article 155 ni sa volonté de négocier. Durant son discours parlementaire de l’après-midi, il s’est cantonné à ce sinueux positionnement tout en maintenant fermement : « Il n’y a pas de médiation possible entre la loi démocratique et la désobéissance, l’illégalité. » Après avoir à plusieurs reprises souligné l’action de la justice et de la police nationale en Catalogne, sans aucune mention faite aux violences perpétrées par cette dernière le 1er octobre dernier, Rajoy est ensuite passé sur un registre qui lui est plus familier : la décrédibilisation du scrutin souverainiste.

« Voter contre la démocratie et en marge de la démocratie n’est pas démocratique. » Des déclarations laissant déduire qu’aucune souplesse n’est à attendre du côté du gouvernement central. Si la suspension de l’autonomie de la région n’est pas officiellement entrée en vigueur pour l’instant, l’article 155 demeure pour l’instant d’une actualité toujours aussi brûlante. Si tant est que cette dernière n’ait pas été déjà réellement amorcée avant le référendum, lorsque le gouvernement espagnol a gelé les finances de la région et tenté de prendre le contrôle de ses forces de police.

Après les échanges de civilités de ces derniers jours, il semblerait toutefois que Madrid et Barcelone soient entrés dans une nouvelle phase du conflit, une espèce de « drôle de guerre » qui ressemble à s’y méprendre aux épisodes des années précédentes, avec une montée en tension notable toutefois, que le camp séparatiste aura tenté de stopper avec cette étonnante suspension. Il n’en reste pas moins que cette décision pourrait avoir un effet contre-productif. Celui de lui faire perdre une partie de ses appuis les plus convaincus, et notamment celui de la CUP, parti radical de gauche en faveur d’une déclaration unilatérale immédiate. Mais aussi celui de la rue, lassée encore et toujours de vivre des journées historiques en demi-teinte.

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