Catalogne : L’opposition à Madrid ne faiblit pas

Si la mobilisation catalane s’organise et se consolide, le paysage politique est divisé. Il est peu probable que l’unité se maintienne à l’approche des élections régionales du 21 décembre.

Laura Guien  • 15 novembre 2017 abonné·es
Catalogne : L’opposition à Madrid ne faiblit pas
© photo : PAU BARRENA/AFP

En Catalogne, les manifestations se succèdent mais ne se ressemblent pas. Depuis la mise sous tutelle des institutions catalanes par Madrid via l’application de l’article 155 de la Constitution, l’incarcération d’une partie du gouvernement régional destitué et l’exil de son président, Carles Puigdemont, à Bruxelles, la résistance se maintient dans la capitale catalane. Mais à la « mobilisation permanente » que sollicitaient en septembre dernier les leaders des deux plus grandes associations indépendantistes, Jordi Cuixart et Jordi Sanchez, maintenus en détention provisoire depuis le 16 octobre, a succédé une contestation sporadique, privilégiant les coups d’éclat efficaces. Des actions coordonnées désormais depuis différentes sphères, parmi lesquelles les CDR, ces « Comités de défense du référendum » devenus « Comités de défense de la République ». Apparus pour permettre le vote de la consultation d’indépendance du 1er octobre, ces comités organisés par quartiers à l’initiative de la CUP, parti de la gauche radicale indépendantiste, ont su gagner en transversalité dans leur discours tandis que leur nombre augmentait. Actuellement 260 en Catalogne, les CDR complètent la trinité de l’opposition à Madrid, formée par l’exécutif en exil de Carles Puigdemont et les puissantes associations indépendantistes Omnium et Assemblée nationale catalane (ANC).

Fin octobre, le profil de l’assistance rassemblée pour assister à la réunion du CDR du quartier de l’Eixample invalidait rapidement l’hypothèse d’un mouvement recrutant uniquement dans l’électorat de la CUP. Dans le cercle de parole, organisé de façon très similaire aux rassemblements du 15M (les Indignés), les participants, de tous âges et de toutes origines, aux orientations politiques diverses, bien que généralement ancrées à gauche, s’interrogent sur l’objectif de ces nouveaux organes de contestation. S’agit-il de s’impliquer dans les élections anticipées convoquées par Madrid le 21 décembre, et auxquelles la totalité des partis catalans a consenti à se présenter (voir encadré) ? Après quelques échanges, le rôle du CDR fait rapidement consensus : organiser des actions concrètes « dans la rue » pour « défendre la République » et « exiger la libération des prisonniers politiques ».

Pas de coalition indépendantiste

Ni le bloc indépendantiste ni le bloc unioniste ne feront front commun pour le scrutin du 21 décembre. Depuis Bruxelles, Carles Puigdemont vient de renoncer à sa « liste du Président », censée rassembler les forces indépendantistes. Il sera donc à la tête de la liste de son parti, intitulée pour l’occasion « Junts Per Catalunya » (« Ensemble pour la Catalogne ») qui devrait rassembler tous les conseillers PDeCAT destitués par Madrid ainsi que les dirigeants des associations indépendantistes d’Omnium Cultural et de l’ANC, toujours en détention préventive. Les autres partis indépendantistes, ERC (gauche) et la CUP (extrême gauche), ont confirmé leur participation sur des listes séparées. Intercalée entre les camps pro et anti-indépendance, la liste de Catalunya en Comú, dirigée par Xavi Domenech et Ada Colau, portera les couleurs de Podemos aux côtés de sa coalition catalane Podem, que l’ancien dirigeant, Dante Fachin, a quitté après des désaccords concernant sa posture vis-à-vis du bloc indépendantiste.

Ce dernier vient de créer la plateforme Som Alternativa (« nous sommes l’alternative »), qui veut présenter un modèle « insoumis et constituant » dans un panorama politique très fragmenté.

Pour ce faire, des suggestions d’actions sont collectées. Certaines, assez vagues, prêtent à sourire (« utiliser les touristes »), d’autres, « créer un mémorial des victimes des violences policières du 1er octobre » ou « demander le soutien des Grands-Mères argentines de la place de Mai », sont plus concrètes. L’indépendance, elle, est rarement évoquée.

Jorge, 65 ans, Urugayen immigré en Catalogne en 1975 à la chute du franquisme et impliqué dans ce CDR « pour renvoyer l’ascenseur » à un peuple qui a su l’accueillir tandis que le sien subissait la dictature militaire, y fait toutefois référence : « Je suis conscient que la Catalogne peut reculer de dix ans économiquement en cas d’indépendance. Mais je pense que les Catalans, organisés comme ils le sont, peuvent contrebalancer cela en moins de trois ans. »

La journée de grève générale, convoquée le 8 novembre par le syndicat indépendantiste SCC, a donné un bel exemple de cette capacité d’organisation. Car, en dépit de niveaux de participation relativement bas (les deux principaux syndicats de la région, CCOO et UGT, n’ayant pas appelé à suivre le mouvement), la journée a été marquée par les actions impulsées par les CDR, optimisant au maximum leurs actions en fonction de leurs effectifs réduits. Ces derniers, parfois en coordination avec l’ANC, ont bloqué des autoroutes périphériques de la capitale catalane et plusieurs gares de la région. Le célèbre binôme ANC-Omnium avait organisé deux manifestations « pour exiger la libération des prisonniers politiques » dans le centre historique. Montse, 48 ans, n’en a manqué aucune, malgré une certaine lassitude. « C’est un véritable marathon. Il faut que cela aboutisse, parce que, franchement, on n’en peut plus », confie-t-elle.

Plus loin, Miguel et Ivan sont venus manifester côte à côte « pour la démocratie », en dépit de divergences quant aux élections convoquées par Madrid : « nécessaires » pour l’un, « illégitimes » pour l’autre. Les avis se rejoignent cependant au moment d’évoquer le choix de Carles Puigdemont de demeurer en Belgique, qualifié par les deux amis d’« option la plus intelligente » restant à l’exécutif destitué.

Même les actions les plus impopulaires de cette atypique journée de grève ne semblent pas avoir soulevé les différends habituels. Au volant de son taxi, Antonio est resté bloqué une grande partie de la matinée à cause des chaînes humaines coupant les routes. « Je n’ai jamais été pour l’indépendance, avoue-t-il, mais la façon dont on a traité les gens ici est inadmissible. C’est normal maintenant qu’ils manifestent leur mécontentement avec les moyens qu’il leur reste. »

La réussite de la « Diada de la Liberté », samedi dernier, un jour seulement après la libération sous caution de la présidente du Parlement catalan, Carme Forcadell, a démontré une nouvelle fois que ni les moyens ni le potentiel de mobilisation n’avaient faibli en Catalogne. Toujours à l’appel d’Omnium et de l’ANC, près de 750 000 personnes ont défilé à l’occasion de cette réédition de la traditionnelle fête nationale catalane, dans une version moins indépendantiste et plus « pro-liberté ». Le cortège, dont la tête avait été laissée aux familles des douze leaders et conseillers indépendantistes toujours en détention provisoire, comptait ainsi des personnalités opposées au séparatisme, comme la maire de Barcelone, Ada Colau.

Si le rejet des mesures autoritaires du Parti populaire de Mariano Rajoy permet pour l’instant de coordonner les initiatives de contestation et atténue en apparence les différences d’opinions, celles-ci ont déjà commencé à émerger dans un panorama électoral divisé et complexe (voir encadré). Il semble ainsi difficile que le scrutin du 21 décembre apporte la République ou l’indépendance souhaitées par les partis opposés au « bloc du 155 », constitué par Ciudadanos (« nouvelle » droite centraliste), le Parti populaire et les socialistes catalans du PSC.

Une problématique évoquée récemment, dans la revue Viento Sur, par le politologue Josep Maria Antentas, et qui pourrait se résoudre dans la convocation d’un processus constituant associant les aspirations de la sphère indépendantiste à celles de partis aux velléités plus fédéralistes, comme Catalunya en Comú, candidature de la gauche extérieure à l’indépendantisme et partenaire de Podemos.

« En somme, il s’agirait d’unir les forces favorables à la rupture aujourd’hui, en laissant ouverte la question du point d’arrivée de la démarche engagée », résume le politologue. Une stratégie ambitieuse qui représente sans doute l’un des plus gros défis politiques des mois à venir en Catalogne.

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