Ces inégalités qui nous empoisonnent

Le lien entre inégalités sociales et protection de l’environnement est absent du débat public. Le comprendre est pourtant crucial, estime Lucas Chancel.

Erwan Manac'h  • 1 novembre 2017 abonné·es
Ces inégalités qui nous empoisonnent
© photo : HECTOR RETAMAL/AFP

Opposer le social et l’écologie est un réflexe qui a la vie dure, bien au-delà des « bonnets rouges » et de leur colère noire contre la « taxe carbone ». C’est pour tordre le cou à cette opposition simpliste que Lucas Chancel, chercheur au Laboratoire sur les inégalités mondiales (World Inequality Lab), reprend par le menu les développements des études mondiales sur les inégalités sociales et le changement climatique. Les premières nourrissent le second et la résolution des unes ne se fera pas sans une lutte acharnée contre l’autre, affirme le chercheur au terme d’un exposé fourmillant de données et de graphiques.

Les inégalités agissent comme un poison sur une société : la menace du déclassement engendre un stress qui pèse sur la santé ; elles encouragent aussi le surendettement des bas revenus – une des principales causes de la crise de 2008 – pour soutenir un niveau de consommation ; elles tendent à accroître la durée du travail et freinent la productivité et l’innovation. Il existe donc bien un niveau « insoutenable » d’inégalités, à revers d’une prétendue « théorie du ruissellement » qui voudrait faire de l’extrême richesse d’une minorité le moteur de l’épanouissement de tous. Il faut également, ajoute l’auteur, percevoir les méfaits directs des inégalités sur l’environnement. « Plus une société est inégalitaire, plus on est porté à consommer des biens visibles pour se distinguer des uns et ressembler aux autres », résume le chercheur, proche de Thomas Piketty. Nous avons donc moins d’une décennie, prévient-il, pour gommer les inégalités et corriger les normes de consommation afin que le développement des pays pauvres n’engendre pas une hausse des émissions de gaz à effet de serre.

Les inégalités verrouillent tout réel changement, soutient Lucas Chancel, car « ceux qui polluent le plus sont la plupart du temps ceux qui subissent le moins les dégâts qu’ils causent ». Les plus pauvres sont pris, a contrario, dans une double peine. « Les inégalités environnementales tendent à amplifier les inégalités économiques et sociales existantes » et vice-versa.

Pour désamorcer ce cercle vicieux, l’auteur préconise une réforme fiscale profonde, à même de faire peser sur la pollution, et les pollueurs, l’effort de redistribution des richesses – et de manière progressive, par souci d’équité. La taxation des activités polluantes ne sera pas acceptée par les sociétés sans ce rééquilibrage et un « remplumage » de l’état social, du syndicalisme, dont l’affaiblissement a favorisé l’explosion des inégalités depuis les années 1970. Au commencement, il doit aussi y avoir une prise de conscience, défend Lucas Chancel. L’élaboration d’outils statistiques permettant de chiffrer l’impact des inégalités de richesse sur la planète constitue donc une première étape qui pourra être décisive.

Un exposé précis, qui éclaire de manière implacable la défaillance des politiques libérales.

Insoutenables inégalités. Pour une justice sociale et environnementale Lucas Chancel, Les Petits matins, 184 p., 16 euros.

Idées
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