Doubles standards

La crédibilité de la parole de femmes varierait en fonction de l’identité des prédateurs qu’elles dénoncent.

Sébastien Fontenelle  • 8 novembre 2017 abonné·es
Doubles standards
© photo : MEHDI FEDOUACH / AFP

D’aucun(e)s ont eu, dans nos parages militants, immédiatement après que des accusations glaçantes ont été lancées par plusieurs femmes contre Tariq Ramadan, une réaction pour le moins étonnante, et à vrai dire très – très, très — incommodante : leur premier réflexe n’a pas été d’accorder toute leur attention à la parole – terrifiante – de ces plaignantes, qui affirment avoir enduré d’abominables violences sexuelles, mais de considérer qu’il y avait peut-être là une conspiration antimusulmane, et qu’il convenait, plutôt que de leur apporter dans l’instant un plein soutien, de laisser la justice française – tout d’un coup redevenue bien plus digne d’estime que lorsqu’elle acquitte par exemple des auteurs de « bavures » policières – faire son travail, parce que bon, la présomption d’innocence, tout ça [1].

Si mes souvenirs sont bons – et ils le sont –, ces commentateurs n’ont pas du tout fait preuve de la même circonspection quand des accusations de même nature ont été portées il y a quelques années contre Dominique Strauss-Kahn (DSK) – dont les ami(e)s, alors, ont aussi hurlé au complot – ou quand, plus récemment, Denis Baupin a été accusé de harcèlement : en ces deux occasions, ils ont fort heureusement pris tout de suite très au sérieux la parole des victimes.

Et cette soudaine réticence – comme un début de surdité – est très, très, très gênante, parce qu’elle fait un peu – beaucoup – le même effet que les hideux récits des victimes de viols qui se heurtent, lorsqu’elles osent porter plainte contre leurs agresseurs, au scepticisme dégueulasse de leurs interlocuteurs institutionnels. Et parce qu’en somme elle installe un double standard, où la crédibilité de la parole de femmes qui affirment avoir été atrocement violentées varierait en fonction de l’identité des prédateurs qu’elles dénoncent.

De son côté, la presse dominante, dans son traitement de cette « affaire Ramadan », use – sans surprise, cette fois – d’un autre double standard, évidemment islamophobe.

Quatre jours après avoir publié un éditorial expliquant très sérieusement que « le mutisme embarrassé des milieux musulmans face aux accusations d’agressions sexuelles portées par deux femmes contre le théologien Tariq Ramadan – qui les nie – est révélateur d’une culture du déni », Le Monde a ainsi rapporté, hier, très naturellement – et sans bien mesurer, peut-être, le déni, en effet, que révèle cette façon de valoriser la parole de l’ancien boss du FMI – que DSK « salue l’action de Macron ».

Plus caricatural encore : Le Figaro a mis en ligne, sur son site, l’un au-dessus de l’autre, deux articles, consacrés, pour le premier, à une rageuse fustigation du « silence des compagnons de route de l’islamisme » (sic) sur l’affaire Ramadan, et, pour le second – qui montrait donc, pis qu’un silence, une complaisance – à une respectueuse restitution des mêmes commentaires du même DSK sur Emmanuel Macron…

[1] Lire, à ce propos, l’excellentissime article de Souad Betka mis en ligne ce 3 novembre sur le site Les mots sont importants (lmsi.net) : « Le cas Tariq Ramadan ou la nécessité de lutter sur plusieurs fronts ».

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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