Ivan du Roy (Bastamag) : Incarner un contre-pouvoir

Si la censure politique n’a plus cours, la résistance au pouvoir des multinationales se fait au prix d’une grande précarité. Malgré cela, les médias libres font preuve de diversité et de richesse.

Ivan du Roy  • 8 novembre 2017 abonné·es
Ivan du Roy (Bastamag) : Incarner un contre-pouvoir
© photo : DR

À chaque période son modèle d’indépendance de la presse. Dans les années 1970, ce sont les premières « radios libres », et littéralement pirates car illégales, qui érodent peu à peu le monopole des ondes détenu par l’État et l’ORTF. Trente ans plus tôt, c’est face à une presse collaborationniste, autorisée par l’occupant et le régime de Vichy, qu’émergent les journaux de la Résistance, imprimés et diffusés clandestinement par des hommes et des femmes au péril de leur vie. Encore avant, lors du premier conflit mondial, c’est le « bourrage de crâne » – la propagande de guerre – qu’il s’agit de contrer, comme le fera Le Canard enchaîné, qui vient alors d’éclore.

En 2017, la censure politique directe n’a plus cours en France. À l’imprimerie, la radio et la télévision se sont ajoutés Internet et ses multiples plateformes. La presse et l’information semblent n’avoir jamais été aussi diverses et plurielles. Pourtant, un pouvoir s’exerce au quotidien sur l’information : un pouvoir économique incarné par les entreprises multinationales. Celui-ci prend plusieurs formes. D’abord, la concentration d’une grande partie de la presse entre quelques mains : 90 % des quotidiens nationaux vendus et 55 % des parts d’audience télé réalisées le sont par des médias qui appartiennent à dix milliardaires, eux-mêmes PDG de grands groupes, de Bernard Arnault (Le Parisien, Les Échos…) à Xavier Niel (Le Monde…) en passant par Serge Dassault (Le Figaro…).

Ce mélange des genres est la source de nombreux conflits d’intérêts : comment enquêter sur une multinationale, ses clients, ses actionnaires, ses pratiques sociales ou fiscales quand celle-ci possède votre média ? Comment, lorsque le chiffre d’affaires de votre propriétaire dépend en partie des bonnes relations avec les gouvernements en place ou, pire, avec des régimes totalitaires, continuer à bien faire son travail de journaliste ? Comment mettre en doute la communication de tel secteur économique quand celui-ci est l’un de vos principaux annonceurs et que l’équilibre financier du journal en dépend ?

Une poignée de multinationales et de milliardaires – parfois les mêmes – possèdent aussi en grande partie les canaux de diffusion, indispensables à l’accès à l’information, à sa circulation et à son « partage » à l’ère d’Internet : SFR, par exemple, inclut ses médias dans son offre télécoms ; Facebook et ses algorithmes sélectionnent ce que vous lirez sur votre page, en fonction des ressources publicitaires que cela générera, quand ceux de Google vous alertent, guidés par un unique souci de profit, sur l’actualité.

Une presse indépendante, si elle aspire à incarner un contre-pouvoir, doit répondre à ces enjeux. Plusieurs médias – jeunes ou moins jeunes – le font déjà, en partie grâce au numérique. Ils ont relevé le défi de l’indépendance de leur capital, à l’exemple de Politis, détenu par ses lecteurs et ses lectrices, de Mediapart, par ses fondateurs, d’Alternatives économiques, constitué en coopérative, ou de Bastamag, en association.

Tous tentent de répondre au défi de l’indépendance des ressources en misant d’abord sur leur lectorat, invité à acheter, à s’abonner ou à soutenir, dans le cas d’une information en accès libre. Cela, souvent, au prix d’une précarité plus ou moins longue, loin du confortable ronronnement de la presse mainstream, qui s’installe… entre deux plans sociaux.

Cette presse indépendante continue de se diversifier, comme le montre la richesse des articles recensés sur le « portail des médias libres » édité par Bastamag (portail.bastamag.net). Cette richesse est une chance dans le contexte actuel ! Aux lecteurs et lectrices de répondre présent, s’ils souhaitent encore lire une presse indépendante. À nous, journalistes, de conforter en retour leur engagement : en poursuivant notre travail pour une information utile à l’intérêt général, avec un maximum de rigueur et d’honnêteté. Car cela aussi est un défi quotidien.

Ivan du Roy Rédacteur en chef de Bastamag.net

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