Jazz&people : « Une manière citoyenne de soutenir la musique »

Premier label de jazz participatif en France, fondé par Vincent Bessières, Jazz&people a permis à près d’une vingtaine de disques de voir le jour en trois ans.

Ingrid Merckx  • 1 novembre 2017 abonné·es
Jazz&people : « Une manière citoyenne de soutenir la musique »
© photo : Jean-Baptiste MillotnAwake a sorti As We Fall en septembre 2016.

Jazz&people a été élu label de l’année aux Victoires du jazz, le 23 octobre dernier. Une reconnaissance pour ce premier label participatif du jazz français. Créé en 2014 par un journaliste de jazz, Vincent Bessières, également commissaire d’exposition, programmateur à l’Espace Sorano (Vincennes, Val-de-Marne) et président du réseau Paris Jazz Club, Jazz&people compte près d’une vingtaine de disques à son catalogue. Et totalise près de 80 000 euros récoltés par crowdfunding. Ce label traduit aussi une volonté de transposer dans le secteur de la culture des principes de consommation responsable.

Jazz&people existe-t-il pour répondre à la crise du disque ?

Vincent Bessières : En 2014, des plateformes de crowdfunding commençaient à être bien identifiées mais, dans le domaine du jazz, c’était relativement nouveau. Je me suis inspiré du label américain ArtistShare, lequel a été créé avant que ne se mettent en route les structures désormais connues de crowdfunding : Maria Schneider, grande compositrice, chef d’orchestre, une des rares femmes aux États-Unis à diriger un big band, n’arrivait pas à financer ses disques. Son compagnon, informaticien, a créé une plateforme avec l’idée qu’on pouvait proposer au public de financer les enregistrements. Ensuite, sont arrivés les kickstarters, des plateformes qui ont inspiré Ulule et KissKissBankBank en France. Jazz&people est pour l’instant le seul label à assumer le crowdfunding, un principe qui pâtit d’une image encore un peu négative. J’en fais un acte politique, en tout cas militant. Une partie des professionnels a du mal à accepter que le secteur du disque se soit paupérisé. Je suis parti du constat que les artistes étaient réduits dans leur grande majorité à l’autoproduction. L’une des raisons étant que la valeur marchande de la musique enregistrée a été fortement dévaluée. J’estime qu’on peut réexpliquer aux gens que faire appel à eux, c’est revaloriser ce qui ne l’était plus en remettant du sens et de l’argent dans les échanges.

Le principe de la souscription existait déjà chez certains groupes, comme les Ogres de Barback, voulant se rapprocher du modèle « circuits courts ». Était-ce votre idée ?

Je revendique complètement une forme de consommation responsable. De même qu’on est attentif aux produits qu’on achète, on est sensible au fait qu’on a envie de faire travailler des gens près de chez soi, de soutenir un tissu social et économique, de ne pas forcément alimenter les grandes multinationales. J’avais envie d’une manière citoyenne de soutenir la musique. Il y a donc un côté solidaire et responsable dans Jazz&people. Son économie et son dynamisme reposent sur le fait de recréer du lien entre ceux qui font la musique et ceux qui l’écoutent.

Est-ce aussi une manière de redonner plus de liberté à l’artiste ?

Le label est né parce que des artistes venaient me voir avec des enregistrements prêts à être édités. Dès le deuxième disque, j’ai eu envie d’intervenir plus en amont. Plus ça va, plus j’ai envie de parler avec les artistes de leur projet. Les musiciens de ce label sont les producteurs, leurs propres patrons en somme. J’essaie de prendre les projets dès qu’ils sont un peu définis, de formaliser des intuitions, d’encourager les musiciens à assumer certaines envies, mais les choix artistiques finaux leur reviennent. Mon but, c’est de leur donner de bons conseils pour faire un disque qui soit à la fois fidèle à ce qu’ils sont mais aussi susceptible de rencontrer le public.

Vous continuez donc à vendre des disques ?

Dire que le disque est obsolète, c’est une sorte d’intox. La grande distribution et les majors voudraient s’en débarrasser. Les fabricants d’informatique ne prévoient même plus de lecteurs sur les ordinateurs. Mais le marché du disque est encore supérieur à celui du numérique. Les amateurs de musique restent attachés au fait d’écouter des disques. Et les musiciens aiment fixer leur création via un objet qui en témoigne. Jazz&people continue à vendre des CD, dans des proportions certes modestes, mais quand même supérieures à l’économie numérique. La clientèle se partage entre des gens qui suivent des artistes et ont envie de les soutenir ; des passionnés de jazz qui achètent des disques régulièrement ; et une part de fidèles du label qui font le pari de la découverte et sont sensibles à son esprit de collection.

Comment définiriez-vous cet « esprit de collection » ?

J’aime le jazz dans toute la diversité de ses expressions, mais je reste attaché à certaines valeurs propres à cette musique : une forme d’ancrage mémoriel et une part importante donnée à l’improvisation structurée, une écriture originale, une dimension rythmique qui n’est pas forcément celle du swing mais qui a quand même à voir avec le dynamisme, le mouvement. Je cherche une forme de fraîcheur, des voix originales et personnelles qui vont donner des choses très différentes au catalogue : une forme classique, be-bop, un jeune pianiste nourri d’électro et de musiques concrètes… J’ai envie de me situer en dehors des chapelles. Une de mes fiertés, c’est de réunir sous une même étiquette des artistes qu’on n’associerait pas forcément. Ils ont des valeurs communes, des compétences instrumentales, harmoniques et rythmiques qu’ils mettent au service d’une expression personnelle. Le milieu du jazz représente moins de 5 % du marché du disque. C’est une économie tellement précaire qu’elle compte peu d’acteurs, peu d’agents, peu de journalistes critiques. C’est un microcosme où il peut être difficile d’avoir une certaine liberté de parole, et dans lequel on est amené à évoluer dans ses activités.

Comment se portent vos musiciens ?

Ils vivent de toutes leurs compétences de musiciens : instrumentistes, compositeurs, arrangeurs, enseignants… Le problème, c’est la diffusion. L’État a mis en place des filières pour former des musiciens de jazz mais sans poser la question de leur devenir. La diffusion n’est pas portée par des lieux permanents mais par des festivals. Il en existe des centaines étiquetés « jazz ». Les Scènes de musiques actuelles (Smac) – une par département – restent fermées au jazz, hormis quelques exceptions, en partie parce que l’État s’est désengagé de leur financement. Or, c’est dans les petites salles ou de taille moyenne que la majorité des musiciens de jazz peuvent se produire. Si chacune d’entre elles programmait du jazz ne serait-ce qu’une fois par mois, cela ouvrirait des débouchés et des perspectives…

www.jazzandpeople.com

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