« Jeune femme », de Léonor Serraille : L’invention d’une femme

Caméra d’or à Cannes, le premier long-métrage de Léonor Serraille dresse le portrait, brillamment interprété, d’une trentenaire parisienne en crise.

Anaïs Heluin  • 1 novembre 2017
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« Jeune femme », de Léonor Serraille : L’invention d’une femme
© Photo : DR

De retour d’un long séjour au Mexique, Paula est une Parisienne sans autres repères qu’un homme qui l’a quittée. Un professeur d’on ne sait quoi, dont les prétentions artistiques ont été récompensées grâce à une photographie où son ancienne maîtresse apparaît provocante, le majeur dressé. Filmé dans une cage d’escalier cossue, le premier plan de Jeune femme est alors davantage que le cri d’une amoureuse délaissée. Lorsque la protagoniste se cogne la tête contre la porte close de son ex, Léonor Serraille montre en effet le refus d’une certaine représentation féminine : celle d’un corps érotique – dans les limites du présentable, avec vernis mondain – mis en scène par un regard masculin dont il est difficile de mesurer le degré de conscience. De malveillance. Entre gravité et fantaisie, Jeune femme est le portrait sensible d’une jeunesse qui s’invente une voie dans la ruine des modèles anciens.

Paris, pourtant, n’appartient pas à Paula. Sans compétences ni culture particulière, le personnage incarné par Lætitia Dosch doit en permanence faire du forcing pour éviter d’enchaîner les humiliations. Heureusement, peut-être rapportée du Mexique, l’intuition de Paula est aussi bonne que peu conformiste. En guise d’armure et de compagnon déjà, elle choisit le gros chat de son ex, qu’elle trimballe partout dans un carton. Avant de se présenter à une soirée où elle n’est pas invitée, elle fourre un rouleau de papier toilette dans sa tignasse rousse pour se bricoler une coiffure à la Amy Winehouse. Elle se fait passer pour la copine d’enfance d’une fille rencontrée dans le métro (superbe Léonie Simaga)… Bref, elle ne manque ni d’audace ni d’imagination. Ce qui lui permet d’affirmer une liberté hors des rails.

Largement nourrie de l’originalité de Lætitia Dosch, révélée au cinéma par La Bataille de Solférino (2013), de Justine Triet, où elle joue une mère célibataire, Paula est d’autant plus captivante qu’elle a peu d’équivalents parmi les héroïnes qui s’imposent depuis quelque temps dans le cinéma français. Plus âgée et d’un milieu socio-culturel différent du groupe d’amies de Bandes de filles (2014), de Céline Sciamma, ou de Divines (2016), de Houda Benyamina, plus seule aussi, elle pourrait être la grande sœur de l’héroïne éponyme de La Vie d’Adèle (2013) d’Abdellatif Kechiche. L’énergie et l’hésitation que lui prête Lætitia Dosch ne sont d’ailleurs pas sans faire penser à l’Adèle Exarchopoulos de ce film, dont le personnage se construit lui aussi à l’écart des schémas habituels.

Un peu marginale mais pas tout à fait hors système, Paula est une précaire dont les peines sont d’autant plus délicates à filmer qu’elles se présentent sous des masques familiers. Celui d’une nounou et d’une vendeuse de sous-vêtements, par exemple, rôles que la jeune femme endosse sans une plainte. Sans exprimer le moindre désir d’élévation sociale. Entourée d’une équipe entièrement féminine, Léonor Serraille réussit ce portrait construit par petites touches tout en nuances et en humilité. Le temps d’une cicatrisation.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes
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