Le souffle de la colère

Baptiste Amann entremêle un conflit local d’aujourd’hui avec des scènes de la Commune de Paris pour célébrer l’esprit de révolte.

Gilles Costaz  • 15 novembre 2017 abonné·es
Le souffle de la colère
© photo : SONIA BARCET

Baptiste Amann est un jeune auteur qui a du souffle. Sous le titre Des territoires, il a mis en chantier une trilogie, dont le premier volet (Nous sifflerons la Marseillaise…) a déjà été joué, dont la deuxième partie (…D’une prison l’autre…) vient d’être créée et dont on ne devrait pas trop attendre la conclusion (Et tout sera pardonné). Sa compagnie, le Soleil bleu/Pépinière, travaille d’arrache-pied, et pas mal de structures, des éditions Théâtre ouvert au Festival d’automne, soutiennent l’aventure.

Dans cette série, un groupe d’humains d’aujourd’hui cohabite avec des figures du passé, tandis qu’en filigrane tournent et retournent les idées de révolution et d’insurrection. Le lieu central est une banlieue mal-aimée. Le groupe, quatre frères et une sœur, se retrouve à l’enterrement de ses parents. Les figures historiques changent à chaque épisode, mais elles surgissent soudain, de façon explosive, pour contester un présent qui se moque des pauvres et des exploités.

Le chapitre représenté aujourd’hui repose sur un conflit local. La mairie a donné son accord pour l’installation d’un grand centre commercial. Beaucoup de maisons et de petits domiciles vont être détruits. La révolte gronde, et la colère provoque un incendie. Le maire décide une sorte de couvre-feu : les habitants doivent rester chez eux. Sur cet événement, les membres de la fratrie se divisent. Une jeune rebelle les rejoint : elle s’appelle Louise Michel et porte en elle la passion politique et philanthropique qu’avait le personnage historique du même nom. À force de débattre, nerveusement, les personnages deviennent des figures de la Commune : la vraie Louise Michel, Élisée Reclus, Élisabeth Dmitrieff, Gustave Courbet, Marie Ferré et Théophile Ferré.

Tous observent la Commune de Paris, qui paya sa révolte de quelque 30 000 morts, avec la distance de l’histoire, dans un faisceau de points de vue divergents (par exemple, Courbet, qui fit tomber la colonne Vendôme, n’aime déjà plus le mouvement dont il fut l’un des héros). La pièce, enfin, fait un dernier saut dans la vie d’aujourd’hui, avec un peu d’espoir et les derniers mots apocryphes d’un fusillé de la Commune : « Le monde est trop plein d’indices pour ne pas le voir se défaire, et s’arranger, se défaire, et s’arranger à nouveau… »

L’auteur écrit sur plusieurs tons : lyrique, politique, quotidien, craché, fignolé. C’est jeté au fil de la plume – une plume riche en mots du dictionnaire et de la rue. Sa mise en scène aime aussi la diversité : elle place l’action sur deux plans, dont le second a lieu derrière un rideau (dans cette deuxième aire de jeu, les relations entre les jeunes relèvent plus du secret et de l’intimité). La musique, tendance rock, ajoute à la nervosité.

Amann ne sait pas encore trier, gommer. Il y a trop de mots, et des scènes qui s’étirent. Souvent, heureusement, cela prend feu, comme si le théâtre oubliait toutes ses conventions. C’est surtout vrai dans la partie historique, où le croisement des propos résonne avec une particulière acuité.

En Louise Michel d’aujourd’hui et d’hier, Anne-Sophie Sterck passe de la douceur à la flamboyance avec une belle évidence. Tous, Solal Bouloudnine, Olivier Veillon, Lyn Thibault, Nailia Harzoune, Samuel Réhault et Yohann Pisiou, savent attraper l’émotion ou la rage, mais de façon discontinue, au cœur de ce texte trop abondant.

Amann et sa troupe n’en ont pas moins une façon urgente et nécessaire de faire du théâtre. À travers un récit basculé entre deux temps, ils expriment un juste éloge de la colère.

Des territoires (…D’une prison l’autre…), théâtre de la Bastille, Paris, 01 43 57 42 14, jusqu’au 25 novembre. Puis au TnBA (Bordeaux) du 5 au 9 décembre, au Circa (Auch) le 11 décembre, au théâtre Sorano (Toulouse) du 13 au 15 décembre. Texte aux éditions Théâtre ouvert.

Théâtre
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