Le krach financier qui vient

Tous les signaux sont au rouge foncé.

Jean Gadrey  • 6 décembre 2017 abonné·es
Le krach financier qui vient
© photo : Nicolas Liponne / NurPhoto

Le krach qui se prépare n’est pas forcément pour demain, mais on s’en approche. Personne ne sait quel en sera le facteur déclenchant, car les candidats sont nombreux à pouvoir s’en prévaloir. Quoi qu’il en soit, tous les signaux sont au rouge foncé. 2018 pourrait bien voir une réédition du plongeon de 2008. En pire, car rien de sérieux n’a été fait depuis dix ans, et les capacités des États, des banques centrales et des banques privées à amortir le choc sont nettement moindres.

D’abord, et surtout, la bulle boursière actuelle bat tous les records, y compris ceux de 2008. Le Dow Jones tutoie les 24 000 points contre moins de 14 000 au sommet de 2008, le record précédent. Les spécialistes des bulles boursières utilisent un indicateur plus fiable : l’indice de Shiller, qui tient compte des fluctuations conjoncturelles et de l’inflation. Lui aussi est au plus haut. Il dépasse son niveau précédant le krach de 1929, bien qu’il soit inférieur à son record séculaire, au moment de la « bulle de la nouvelle économie » en 2000.

Ensuite, cette bulle ne concerne pas que les actions. La bulle obligataire (surtout celle des obligations d’État) n’est pas moins gonflée. S’y ajoutent d’abord une nouvelle bulle immobilière, moins explosive que la précédente mais très nette, et, aux États-Unis, trois grosses bulles de crédit qui enflent sans cesse : celle de la dette étudiante, dont le montant avoisine les 1 500 milliards de dollars ; celle des crédits automobiles, de plus de 1 100 milliards de dollars ; et celle des dettes sur les cartes de crédit, de plus de 1 000 milliards de dollars. Le total de la dette des ménages (13 000 milliards de dollars) dépasse dans ce pays le niveau d’avant 2008.

Autre facteur d’un probable plongeon : les leçons de la crise de 2008 ont été largement oubliées, le lobby bancaire étant toujours aussi actif pour contribuer à cet oubli et pour s’arrimer à des responsables politiques proches de ses intérêts. En particulier, les banques états-uniennes ont recommencé à vendre des prêts à des emprunteurs peu solvables : 23 millions de personnes dans ce cas ont un prêt automobile « subprime », et 7 millions n’ont pas payé leur prêt étudiant, dont 700 000 retraités qui n’ont pas fini de rembourser ! Quant à la titrisation de ces prêts douteux pour les revendre à des spéculateurs (technique qui a amplifié la crise des subprimes), elle a repris de plus belle.

Par ailleurs, les politiques d’injections massives de liquidités par les banques centrales depuis dix ans (au total 9 000 milliards de dollars depuis 2008, et ces derniers temps 200 milliards d’euros par mois !), d’abord pour soutenir le secteur financier après 2008, ensuite pour tenter de relancer une croissance atone, ne peuvent guère se prolonger. D’autant qu’elles ont elles aussi beaucoup contribué au gonflement de la super-bulle spéculative. Mais toutes ces banques tremblent à l’idée de freiner ce que Stiglitz appelait une transfusion sur un patient souffrant d’hémorragie interne…

On pourrait aussi évoquer la bulle de la dette des entreprises chinoises, plus énorme encore que celle des ménages états-uniens, parmi d’autres facteurs déclenchants possibles. Dernier indice de trouble dans la famille finance : ce sont depuis peu de grandes banques qui s’inquiètent pour la suite des événements, notamment la Deutsche Bank, la Bank of America et même… Goldman Sachs. Sans parler du FMI…

Faudra-t-il attendre le prochain grand plongeon pour arraisonner la finance folle ?

Jean Gadrey Professeur émérite à l’université Lille-I.

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