« Gérer la violence de la police »

Avec Moi, policier, j’ai tué un homme, Mustapha Kessous signe le premier documentaire consacré aux homicides commis par les forces de l’ordre.

Jean-Claude Renard  • 10 janvier 2018 abonné·es
« Gérer la violence de la police »
© Nicolas Tuccat/AFP

De Malik Oussekine à Adama Traoré, les victimes tombées sous les coups ou les balles des forces de l’ordre sont nombreuses. Sans que, avec le temps, on ne se penche sur les responsables de ces homicides. Sur ce qu’ils sont devenus, ce qu’ils ont vécu. C’est tout l’objet du documentaire de Mustapha Kessous, recueillant sobrement, des années après leur acte, la parole de policiers dans cette situation. Un film ponctué des interventions de Pierre Joxe et Jean-Louis Debré, ex-ministres de l’Intérieur ; des avocats Yassine Bouzrou (lui-même défenseur de la famille d’Adama Traoré), Laurent-Franck Lienard et Daniel Merchat ; et de la procureure Fabienne Klein-Donati. Politis a pu visionner en exclusivité ce documentaire exceptionnel (avec l’obligation de n’en rien dévoiler, ni sur les victimes ni sur les policiers), qui sera prochainement diffusé sur France 3.

Journaliste au Monde, déjà auteur du documentaire Français d’origine contrôlée, articulé autour des Français d’origine maghrébine en butte au harcèlement de la police, Mustapha Kessous a retrouvé quelques-uns de ces policiers accusés d’homicide, confrontant les archives au témoignage présent. Sans brosser de tableau à charge, c’est là un film à la fois édifiant et éclairant.

Dans votre documentaire, vous dessinez trois profils de policiers ayant tué quelqu’un…

Mustapha Kessous : Il y a plus de deux ans, je partais dans une étrange quête, celle de retrouver des policiers ou d’anciens policiers qui avaient tué une personne. Je voulais simplement comprendre leur geste et qu’ils me le racontent. Après une longue enquête, j’ai réussi à en retrouver certains et j’ai rencontré des hommes brisés – le mot est faible. En leur parlant et en les écoutant, je me suis rendu compte que certains continuaient de vivre dans le déni : en gros, s’ils ont tué une personne, c’est à cause de leur arme défaillante, le coup est parti tout seul, le doigt a, accidentellement, appuyé sur la gâchette… Ils ont dû mal à considérer qu’ils sont peut-être responsables de la mort de quelqu’un. Et puis il y a des policiers qui reconnaissent avoir tué et qui assument. Même s’ils parlent d’une erreur, voire d’une bavure, ils ne se trouvent pas, ou plus, d’excuses. Ils font, en quelque sorte, acte de contrition. Enfin, il y a ceux qui étaient en état de légitime défense et qui ont dû agir pour sauver leur peau. Mais, quel que soit leur profil, on ressent chez eux une grande souffrance.

La violence policière, se soldant par des morts, ne date pas d’aujourd’hui. Au-delà du cas de Malik Oussekine, vous remontez au 17 octobre 1961… Comment expliquez-vous cette réalité systémique ?

Je ne sais pas si on peut avoir une approche scientifique des violences policières. Il n’existe pour l’heure aucune statistique officielle recensant le nombre de personnes tuées par les forces de l’ordre. L’Inspection générale de la police nationale vient cependant d’annoncer qu’elle allait se doter d’un outil pour comptabiliser le nombre de blessés ou de tués par la police lors des interventions : on verra ce que cela donnera. Certaines associations luttant contre l’impunité policière dénoncent cinq à quinze morts impliquant les forces de l’ordre chaque année depuis plus d’un demi-siècle. Que peut-on en conclure ? Qu’au nom du maintien de l’ordre la police peut tuer de manière légitime, et parfois de façon illégitime. C’est ce dernier cas de figure qu’il faut comprendre et combattre. Une partie de la police et de la gendarmerie a un problème pour gérer la violence, et tout l’enjeu est de savoir la contrôler pour ne pas la laisser éclater de manière illégitime.

Du côté des familles de victimes, demeure le sentiment d’injustice, ou d’impunité…

Tout à fait, car les familles ont l’impression que la justice couvre les forces de l’ordre : des instructions qui durent des années, des non-lieux à répétition, des condamnations avec sursis, d’autres qui ne sont pas inscrites au casier judiciaire, permettant ainsi au fonctionnaire de continuer à exercer sa profession… Ce qui est étonnant, c’est que les policiers ont le sentiment inverse : ils pensent que la justice est contre eux et se sentent lâchés par l’institution judiciaire.

Dans votre documentaire, vous pointez la question de la formation des policiers, notamment au maniement des armes. Selon vous, sont-ils bien formés ?

Je ne pensais pas que la formation du policier pouvait, en réalité, faire débat. Face à la violence de notre société, l’État continue d’armer les forces de l’ordre avec parfois du matériel défectueux. Exemple : le Flash-Ball qui a un problème de visée à longue distance. Mais surtout, face à des professionnels de la criminalité, un policier armé est en danger, car il ne maîtrise pas son arme ! Comment pourrait-il en être autrement ? Faute de moyens, le policier ne tire que quatre-vingt-dix cartouches par an, trente chaque trimestre. En outre, on a tendance à envoyer des fonctionnaires dans des zones dangereuses alors qu’ils sortent à peine de formation. C’est un sujet complexe.

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