« C’est moi », de Marion Guillot : La simplicité même

Dans C’est moi, la narratrice imaginée par Marion Guillot est une héroïne de roman noir autant qu’une femme banale.

Christophe Kantcheff  • 7 février 2018 abonné·es
« C’est moi », de Marion Guillot : La simplicité même
© photo : Yves Loterie

D ans le fond, Charlin devait être quelqu’un de sympathique. » De la part de la narratrice, dont on verra qu’elle ne porte pas ce Charlin dans son cœur, l’incipit de C’est moi est intrigant. Ou ironique. D’une ironie tragique.

Charlin vient d’être retrouvé mort chez lui, une corde autour du cou. Le défunt était un ami de Tristan, le compagnon de la narratrice. Il avait pris pour fâcheuse habitude de débarquer chez eux à l’heure du dîner, les mains vides. Or, à cette période, entre Tristan et elle, à la quarantaine passée, ce n’était plus ­vraiment ça. Ils vivaient « côte à côte plus qu’ensemble ». La présence récurrente de Charlin n’en était, pour elle, que plus importune. En outre, Tristan, peut-être par désœuvrement – il est au chômage –, a eu l’idée de placer dans leur appartement, avec l’aide de Charlin, prompt à se rincer l’œil, une grande photo d’elle nue, prise l’été précédent. La honte…

Qui est cette femme, cette narratrice qui n’a pas de nom ? « C’est moi », répond le titre que Marion Guillot, dont c’est le second et très réussi roman, n’a évidemment pas laissé au hasard. « C’est moi » peut être entendu comme le fait d’assumer un acte grave : c’est moi qui suis capable de cela. La narratrice a pris ce qu’elle a tant attendu, en vain, de la part de Tristan : une « initiative ». « La seule chose […] qui m’importait, c’est la perspective, même vague, que quelque chose change, bouge ou disparaisse. » L’idée de commettre ce geste s’insinue en elle. Elle s’y abandonne sans difficulté. Tuer Tristan lui a même traversé l’esprit. Elle n’en a rien fait. Mais il lui suffit de débrider son imagination et de mettre en œuvre ce qu’elle a « vu » pour régler son problème. Aussi terribles soient ses projections mentales…

Cela fait-il de la narratrice un personnage effrayant ? C’est que Marion Guillot ne la traite pas ainsi, tout en ne pénétrant jamais sa psychologie. Cette femme a avant tout besoin d’amour, de liberté et de reconnaissance – comme vous et… « moi ». Tout au plus lui accorde-t-elle des idées bizarres, en l’occurrence anodines – mais qui n’en a pas ? Ainsi, à propos de la dernière conquête de Charlin, qui « s’appelait certainement Véronique, comme toutes les filles faciles ».

La narratrice, assistante de direction, a des pointes d’érudition. Elle sait que le prénom Charles-Valentin, que Charlin avait contracté, était aussi celui du musicien Alkan, mort sous le poids de sa bibliothèque, qui s’est renversée alors qu’il attrapait le Talmud. Elle connaît aussi cette lubie de Kurosawa de peindre en rouge les pétales des camélias, même dans ses films tournés en noir et blanc.

Ces caractéristiques, à la fois singulières et banales, sont délivrées dans les interstices d’un récit qui vire au roman noir. Tout comme le chapitre, a priori inutile à l’économie du récit, où la narratrice se promène dans les rues, le soir entre chien et loup, et où ses pensées flânent elles aussi. Hors son acte barbare, la narratrice, finalement, ne se distingue pas tant du lecteur, qui lui aussi a ses particularités. « C’est moi »… et ça fait peur.

C’est moi, Marion Guillot, Minuit, 111 p., 12 euros.

Littérature
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