Italie : qu’est vraiment le Mouvement 5 étoiles ?

La formation de Beppe Grillo, anti-élites, eurosceptique, anti-immigrés et se disant écolo, est considérée comme une nouvelle résurgence du fascisme « social ».

Olivier Doubre  • 2 mars 2018 abonné·es
Italie : qu’est vraiment le Mouvement 5 étoiles ?
© photo : GABRIELE MARICCHIOLO / NURPHOTO / AFP

Beaucoup de sondages en Italie prévoient que le Mouvement 5 étoiles (Movimento 5 Stelle ou M5S) arrive en tête, seul, aux élections législatives du 4 mars 2018. Son électorat compterait un grand nombre de jeunes mais aussi de personnes qui, auparavant, s’abstenaient, écœurées par ce que le mouvement appelle et dénonce comme « le système », c’est-à-dire les grands partis traditionnels et le personnel politique, en fonction depuis des années voire des décennies.

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Formation politique (car il refuse le « vieux » terme de parti) fondée par le « comique » Beppe Grillo, star de la télévision italienne dans les années 1980 et 1990, et le webmaster Gianroberto Casaleggio (supposé « l’idéologue » du mouvement), le M5S se présente comme « ni de droite, ni de gauche » et son programme met en avant « la lutte contre la corruption, l’abolition des privilèges des parlementaires », le fait de « balayer la vieille caste de politiciens » ou encore d’« organiser des référendums auprès des électeurs ». S’appuyant beaucoup sur les réseaux sociaux et Internet, le M5S prône une « cyberdémocratie participative », promettant de « redonner la parole au peuple ». Ses candidats sont ainsi choisis via le web directement par ses quelque 135 000 adhérents revendiqués, qui peuvent aussi émettre des « propositions de lois d’initiative populaire ».

Le Mouvement dit défendre la petite entreprise – une partie des indemnités de ses 123 parlementaires, 14 députés européens et nombreux élus régionaux doit être reversée dans un Fonds spécialement créé en soutien aux PME – et développe un fort discours écolo, attirant ainsi beaucoup d’électeurs jadis de gauche et des jeunes : énergies propres, décroissance, qualité de la vie, emplois « verts »… Mais ce programme s’articule, au plan économique, avec une adhésion à un néolibéralisme aux accents libertariens, où libre-entreprise rime avec réduction de la dette et de la dépense publiques.

Pour autant, Beppe Grillo, assez incontrôlable, a souvent donné une image plus floue de ses positions, avec des déclarations anti-immigrés, mais aussi contre l’union civile pour les couples de même sexe. Capable d’emportements volontiers vulgaires, son mouvement est ainsi né à partir des manifestations antiparlementaires, organisées dans de nombreuses villes italiennes en septembre 2007. Ces manifestations étaient dites du « V-Day » ou « Vaffanculo-Day », c’est-à-dire littéralement le « jour d’allez-vous-faire-foutre ». On retrouve d’ailleurs ce V dessiné alors dans le logo du M5S jusqu’à aujourd’hui… Sa défense de la « démocratie directe » a souvent des accents antiparlementaires.

Il serait donc plus juste de le qualifier comme adepte d’une démocratie plébiscitaire, avec tous les dangers dont elle peut être porteuse, trop souvent ignorée par ses électeurs. Ceux-ci adhèrent d’ailleurs à son programme et suivent ses candidats de manière enthousiaste, voire viscérale. Le M5S peut ainsi se targuer de compter un taux de fidélité de ses adhérents et votants supérieur à 85 %. En dépit des affaires qui ont impliqué certains de ses élus, notamment certains parlementaires, inconnus au départ et désignés candidats via internet, dont on a récemment découvert qu’ils ne versaient rien au Fonds pour les PME créé par le mouvement. Par ailleurs, la gestion des municipalités de Rome ou Turin, remportées en juin 2016 par le mouvement, s’est révélée calamiteuse. Pourtant, d’après les récents sondages, le M5S n’aurait perdu que 0,2 % suite aux récentes révélations sur les fraudes concernant le Fonds d’aide aux PME…

Beppe Grillo fut un dirigeant des plus autoritaires avant 2017, année où il céda la tête du mouvement au jeune et propret Luigi Di Maio, 31 ans, tenue impeccable rompant avec les cheveux longs du barbu Grillo, qui conduit aujourd’hui la campagne des législatives. Auparavant, Grillo a multiplié les déclarations sur la « nécessité » d’hommes forts en politique internationale, citant volontiers les exemples de Donald Trump ou Vladimir Poutine. De même, Roberta Lombardi, à la tête du groupe des députés M5S, écrivait sur son blog son « admiration » pour le fascisme mussolinien, notamment « son sens très élevé de l’État et de la protection de la famille ».

Surfant en fait sur les frustrations politiques et financières de l’électorat populaire, le M5S dans sa critique acerbe des « politiciens » a été souvent comparé par les spécialistes de science politique italienne au mouvement de « L’Uomo qualunque », c’est-à-dire « l’homme ordinaire » ou « l’homme quelconque », apparu dans l’immédiat après-guerre et éditeur d’un hebdomadaire du même nom. Celui-ci, proche du poujadisme dans ses valeurs, cultiva un antiparlementarisme et un individualisme agressif. Assez vulgaire dans ses slogans, propageant insultes, rumeurs et ragots, marqué par un anti-intellectualisme et le rejet des valeurs de la Résistance, son style n’est pas sans rappeler celui du « comique » Grillo.

Le mouvement de « L’Uomo qualunque » dura à peine trois ans. Mais les ressemblances sont troublantes, ne serait-ce qu’avec l’idée du « V-Day ». Ainsi pouvait-on lire en 1945, en dessous du titre de l’hebdomadaire : « Ceci est le journal de l’homme quelconque, qui en a assez de tous, dont le seul désir est que personne ne lui casse les pieds »… Du Grillo avant l’heure ?

À lire : Un populisme à l’italienne ? Comprendre le Mouvement 5 étoiles, Jérémy Dousson, éd. Les Petits Matins, 208 p., 15 euros.

Monde
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