Les malveillances les plus odieuses

C’est le refus du racisme et du sexisme que Le Point présente comme de la susceptibilité.

Sébastien Fontenelle  • 14 mars 2018 abonné·es
Les malveillances les plus odieuses
© ERIC CABANIS / AFP

L’hebdomadaire Le Point, dont l’éditorialiste en chef (l’inénarrable Franz-Olivier Giesbert) proclamait tout récemment (et sous le sceau, il va de soi, de l’insoumission à la « toute-puissante bien-pensance ») que « l’Action française […] ne fut pas […] globalement rongée par l’antisémitisme [1] », a trouvé, en s’appuyant sur de récentes proférations du psychologue canadien réactionnaire Jordan B. Peterson – nouvelle coqueluche de la droite décomplexeuse, qui le tient pour une « star de la liberté d’expression [2] » –, une formule inédite pour qualifier l’inacceptation du racisme, du sexisme et de tout ce qui contribue, dans notre si répugnante époque, à la stigmatisation quotidienne des altérités : il y a là, selon Le Point, qui a consacré il y a quinze jours un affligeant article de trois pages et demie – tout de même – à ce nouveau despotisme, une « tyrannie des susceptibles ».

Selon l’auteure de ce lamentable papier, cette oppression est le fait de gauchistes « identitaires » qui « considèrent l’ensemble des enjeux politiques et sociaux par le prisme non d’individus libres et égaux, mais d’identités ou groupes d’appartenance – en premier lieu le genre, l’orientation sexuelle ou l’ethnique –, faisant de la vie sociale une lutte entre “opprimés” et “oppresseurs” », et qui veulent proscrire dans le débat public – et en particulier « dans les universités », où ils feraient régner, par « sectarisme idéologique », une espèce de terreur intellectuelle – tout ce qu’ils « perçoivent comme offensant ».

On l’aura compris : ces gens que Le Point présente si grossièrement (et en évitant soigneusement de mieux détailler leurs engagements) comme des censeurs sont en réalité des militant(e)s antiracistes et antisexistes qui ont fait le choix, dicté aussi par le constat que leur si longue patience n’avait été d’aucun effet, de ne plus accepter aucune altérophobie – et de ne plus tolérer que des incitations à la haine contre des minorités soient publiquement proférées.

On l’aura compris, bis : au bout du compte, c’est ce refus du racisme et du sexisme – liste non exhaustive – que Le Point présente comme de la susceptibilité.

C’est bien commode : cela permet, lorsque des victimes de ces discriminations expriment leur désespoir – et le cas échéant leur révolte –, de réduire cette expression à celle d’une sensibilité par trop exacerbée – alors ayé, on en est là, on peut même plus rigoler sans que des pédés jouent les bégueules ?

Cela autorise – et incite – en somme à nier cette souffrance, et cette négation fait bien sûr un formidable encouragement à perpétuer les malveillances les plus odieuses : gageons que le message aura été parfaitement reçu par les tristes gredin(e)s qui ont fait ce week-end le choix d’ignorer les épouvantes qu’elle suscitait pour mieux maintenir à Dunkerque leur infecte « Nuit des Noirs ».

[1] Le Point, 22 février.

[2]Le Point, 1er mars.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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