De plus en plus d’enfants migrants enfermés

En dépit des conventions internationales, le placement de familles en rétention s’est accéléré depuis l’élection de Macron.

Ingrid Merckx  • 18 avril 2018 abonné·es
De plus en plus d’enfants migrants enfermés
© photo : JEFF PACHOUD / AFP

Plus aucun enfant en rétention. C’était un engagement pris par François Hollande dans une lettre au Réseau éducation sans frontières le 20 février 2012. Un mois auparavant, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la France (« arrêt Popov ») en jugeant que le placement de deux enfants (5 mois et 3 ans) dans un centre de rétention administrative (CRA) pendant quinze jours avec leurs parents violait la Convention européenne des droits de l’homme.

Le nombre d’enfants placés en rétention a baissé au début du quinquennat Hollande, _« mais c’était plus une démarche de rupture par rapport à Nicolas Sarkozy qu’une réelle amorce de changement __»_, tempère Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade_._ Le phénomène a même recommencé à grimper durant cette mandature, sous prétexte de _« facilitation administrative »_ avant une rapide expulsion.

Étape décisive, la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers, sous couvert d’« encadrer » l’enfermement des familles, le légalise. Un décret du 3 octobre stipule ainsi que « les locaux de rétention administrative susceptibles d’accueillir des familles disposent en outre de lieux d’hébergement séparés, spécialement équipés, comportant une pièce de détente et dotés notamment de matériels de puériculture adaptés, ainsi que d’un espace de promenade à l’air libre ». Le gouvernement prétend mieux accueillir les familles, mais en fait il sanctuarise des lieux dédiés à leur privation de liberté. « Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, on observe une accélération de la mise en rétention “pour confort administratif” », constate Jean-Claude Mas, et on revient à des chiffres qu’on avait connus sous la présidence de Nicolas Sarkozy. »

Seize familles, dont 26 enfants, ont été placées en rétention au Mesnil-Amelot depuis le 1er janvier. « Le 28 février au soir, 10 enfants étaient enfermés dans des chambres n’atteignant parfois pas plus de 10° C, alerte un communiqué de la Cimade le 6 mars. Parmi eux, plusieurs nourrissons […]. D’autres enfants plus âgés ont été confrontés à la violence imposée à leurs parents, aux températures très basses des derniers jours, à la peur de l’expulsion… »

© Politis

Le 15 mars, une pétition lancée par des associations de soutien aux migrants contre la rétention totalisait plus de 100 000 signatures : « En 2017, au moins 305 enfants ont vécu cette injustice en métropole, soit 7 fois plus qu’en 2013. Des milliers y ont été exposés à Mayotte et des centaines en zones d’attente. » C’est à Mayotte que la situation demeure la plus catastrophique : autour de 4 000 enfants enfermés par an, quelle que soit la mandature. Le ministère de l’Intérieur continue à agiter le risque d’« appel d’air » : « Comme si une France respectueuse des Droits de l’homme allait se faire envahir, s’indigne Jean-Claude Mas_. Ça n’est pas du pragmatisme, mais une interprétation au service d’une politique !_ Un dogme qu’il faut combattre. » Et qui entre en contradiction avec l’humanisme de la douzaine de députés LREM qui ont travaillé à proposer des amendements, tous rejetés en commission des lois à l’Assemblée la semaine dernière. Ces macronistes ne semblent pas peser lourd face aux 300 députés de leur groupe favorables à une loi passant la période maximale de rétention de 45 à 90 jours.

Visiteuse pour l’Observatoire citoyen du CRA de Vincennes, Christine Benoît a pu observer la détresse de ces pères inquiets du sort de leur famille qui reste en France, quand eux sont expulsés. « Comme la plupart des téléphones font appareil photo, maintenant, on le leur retire en CRA. Ils ne peuvent téléphoner qu’à partir des trois cabines existant à l’intérieur. C’est d’ailleurs par ces cabines que nous passons aussi : un retenu décroche. » L’observatoire dénonce l’enfermement de personnes « au seul motif qu’elles ne possèdent pas les documents qu’on leur réclame. »

C’est le principe même de la rétention pour les étrangers en situation irrégulière qu’il faut remettre en cause, estime aussi Jean-Claude Mas. A fortiori celle d’enfants qui ne peuvent vivre que de façon « traumatique » un enfermement derrière des murs, des barbelés et des sas tenus par des policiers. « Certaines préfectures tentent d’éviter la rétention, preuve que ça n’est pas obligatoire. Mais il ne faut pas se leurrer sur l’assignation à résidence : les familles doivent pointer au commissariat moyennant des heures de trajet, ce qui est très contraignant pour la vie familiale, le suivi des soins, la scolarité. En outre, l’assignation à résidence n’est pas toujours une alternative à la rétention, elle vient parfois en complément. » Certaines familles cumulent périodes de rétention et assignation à résidence dans des centres d’hébergement où les travailleurs sociaux doivent jouer les chaînons d’une politique de contrôle qui s’étend.

Les défenseurs des migrants soulignent le défaut de perception d’un gouvernement qui multiplie les amalgames : si la rétention n’est pas la détention, pourquoi enfermer à la fois des enfants et des jihadistes ? « Au CRA pour femmes à côté du palais de justice de Paris, on rencontre les retenues dans des cases vitrées, explique Christine Benoît. L’entrée se fait par le dépôt, les retenues y croisent des personnes arrêtées pour toutes sortes de délits. Elles y sont extrêmement seules. Il y a deux mois, l’une d’entre elles s’est jetée par la fenêtre, elle a été emmenée dans le coma. On ne parvient pas à savoir ce qu’elle est devenue. Nous avons perdu sa trace. »

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