Laïcité et droits des femmes : retour éclairé sur des notions qui suscitent débats et controverses

Asif Arif et Madjid Messaoudene montrent que si le combat féministe et le combat laïque peuvent s’articuler, ils sont fondamentalement distincts.

Asif Arif  et  Madjid Messaoudene  • 20 avril 2018
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Laïcité et droits des femmes : retour éclairé sur des notions qui suscitent débats et controverses
© photo : PHILIPPE LOPEZ / AFP

Élisabeth Badinter aime à le rappeler et elle n’est pas la seule : la laïcité serait intrinsèquement liée aux droits des femmes. De prime abord, on pourrait se dire que la laïcité pourrait être une notion visant à lutter pour l’émancipation des femmes dans nos sociétés. Or, il s’agit d’une erreur juridique, d’une erreur factuelle et d’une erreur de compréhension du principe de laïcité.

Une erreur juridique : la loi de 1905 et les femmes

Est-il encore nécessaire de rappeler que les femmes, en 1905, n’avaient pas le droit de vote et qu’il est en conséquence difficile de concilier un droit qui vise l’émancipation des femmes dans nos sociétés et une loi qui a été votée par des hommes ? À cette époque, les femmes constituaient par ailleurs un corps solide de résistance face à la loi de séparation des Églises et de l’État et non une catégorie qui appuyait ladite séparation.

Asif Arif est avocat au barreau de Paris, auteur spécialisé sur les questions d’islam et de laïcité

Madjid Messaoudene est élu de la ville de Saint-Denis en charge de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations. Militant pour l’égalité et contre les discriminations

Si le rôle de la laïcité était d’assurer l’égalité femmes-hommes ou encore de reconnaître le caractère de dignité des femmes, pourquoi, lorsque la loi de 2010 relative à la dissimulation du visage dans l’espace public était en cours de vote, le Conseil d’État a-t-il considéré qu’une telle loi ne peut se fonder ni sur la laïcité, ni sur la dignité des femmes, ni même encore sur l’égalité femmes-hommes ? C’est bien que le terrain juridique n’y était pas propice. Comment alors envisager une identité des causes lorsque les deux éléments empruntent des trajectoires juridiques différentes ? Le droit ne faisant pourtant que relater des réalités sociales établies.

Il ne s’agit pas là de dire que le combat pour l’émancipation des femmes est infondé. Justement, ce combat est trop important pour qu’on accepte qu’il soit instrumentalisé. En effet, le combat pour l’égalité femmes-hommes s’appuie sur des fondements juridiques, mais qui ne sont pas ceux la laïcité. Selon nous, lier les deux c’est commettre une autre erreur, celle d’une lecture biaisée de la loi de 1905.

Une lecture erronée de la loi 1905

La loi du 9 décembre 1905 instaure l’égalité des citoyens devant la loi républicaine en proclamant la liberté de conscience. La finalité est que le service public représentant l’État ne commette pas de discrimination entre une personne croyante et une non-croyante. Tous les citoyens étant égaux devant la loi. Il n’existe en conséquence aucune distinction entre les hommes et les femmes dans cette conception de la citoyenneté reprise par la loi de 1905.

La laïcité est un outil qui vise à assurer une neutralité dans les opinions émises par ceux qui représentent l’État. Il s’agit de traiter tout citoyen selon les lois de la République. En conséquence, cette même République ne peut pas être militante puisqu’elle est par définition neutre. Cette neutralité est un gage démocratique mais également un élément essentiel dans notre approche du rapport entre le service public et les citoyens, usagers de ce dernier.

Souvent, les personnes prônant la confusion entre la lutte pour l’égalité femmes-hommes et la laïcité mènent un combat qui vise à faire avancer les religions sur leurs positions internes relatives au statut de la femme.

En effet, ces personnes font de la laïcité et des droits des femmes deux combats indissociables, par exemple en y mêlant machisme, sexisme et harcèlement de rue. Ces questions sont trop importantes pour être abordées sous l’angle biaisé de la laïcité, qui on le voit peut rapidement dévoiler un prisme stigmatisant. Par ailleurs, quoi de plus antilaïque qu’une telle démarche ? La laïcité reconnaît justement une séparation de l’ordre républicain et de l’ordre religieux. L’ordre républicain s’adresse aux citoyens là où l’ordre religieux s’adresse à des fidèles. De fait, dans les espaces où la loi de la République doit être respectée, les citoyens, en cette qualité, devront respecter la loi. Cela ne les empêche pas – et il s’agit là de la garantie de leur liberté de conscience au sens de l’article 1er de la loi de 1905 – d’avoir des opinions religieuses qui soient différentes tant qu’elles n’ont pas de visées sectaires ou ne portent pas sur des éléments contraires à la loi.

Vous l’aurez compris, nous attachons autant d’importance au combat pour l’égalité femmes-hommes et contre toutes les formes de domination masculine. Cependant, il nous apparaît assez clairement que, si le combat féministe et le combat laïque peuvent s’articuler, ils sont fondamentalement distincts.

En conséquence, il ne faut pas confondre le militantisme pour l’égalité entre les femmes et les hommes et le principe de laïcité, qui incombe à l’État.

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