Secret des affaires : ne pas avoir peur

Le jour même où s’ouvrait au Luxembourg le procès en appel du lanceur d’alerte Antoine Deltour, notre Assemblée nationale votait la loi sur le « secret des affaires ».

Pouria Amirshahi  • 4 avril 2018
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Secret des affaires : ne pas avoir peur
photo : Antoine Deltour le 15 mars 2017.
© AURORE BELOT / AFP

Protéger les lanceurs d’alerte – et les journalistes qui les relaient – est un impératif démocratique, une arme de droit face aux puissances de l’argent, qui échangent scrupules contre profits et considèrent l’intérêt général comme on marche sur un paillasson.

Ce n’est pas la voie choisie par l’Union européenne et ses États membres. Le jour même où s’ouvrait au Luxembourg le procès en appel du lanceur d’alerte Antoine Deltour, notre Assemblée nationale votait, à l’initiative du groupe LREM et sous pression des groupes d’intérêts économiques, la loi de transposition de la directive européenne sur le « secret des affaires ».

L’exposé des motifs justifie la proposition au regard de l’intérêt des entreprises qui seraient lésées par le dévoilement de secrets essentiels à leurs activités et aux bénéfices qu’elles en tirent. Pourtant, les brevets sont déjà protégés, les cadres et les ingénieurs déjà liés dans leur contrat de travail par le secret professionnel à l’égard de la concurrence (y compris après une éventuelle séparation), les lois sur la propriété existent, l’espionnage industriel est réprimé autant que le piratage de données.

Alors quoi ? Pourquoi une loi au lieu d’améliorer, le cas échéant, les dispositifs existants ? C’est qu’il ne s’agit pas de protéger les entreprises d’une concurrence déloyale, mais bien de menacer de peines de prison les éventuels lanceurs d’alerte et les salariés susceptibles de s’inquiéter des pratiques contraires à l’intérêt général. Certes, des limitations (relatives) ont été portées et des amendes instaurées pour dissuader des patrons de les poursuivre trop facilement. Mais, car il y a au moins un mais, ce seront d’abord à eux et aux journalistes de prouver qu’ils ont cherché à défendre l’intérêt général en divulguant des informations. Et qui jugera de cela ? Les tribunaux de commerce ! Il faudra démontrer également que les pratiques dénoncées sont illégales. La belle affaire ! La vérité est que les investigations de plus en plus nombreuses sur les pratiques immorales et scandaleuses de certaines sociétés (dans l’industrie pharmaceutique, l’industrie automobile, l’élevage et l’agriculture, la banque…) font désormais peur à leurs dirigeants. Qui ont exigé et obtenu in fine des députés « marchistes » d’inverser la charge de la peur et de tarir ainsi les sources d’où peuvent jaillir les vérités. C’est grave. Mais nous ferons face.

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