Sur la laïcité et les droits des femmes : une réponse

Après la publication de la tribune d’Asif Arif et Madjid Messaoudene « Laïcité et droits des femmes : retour éclairé sur des notions qui suscitent débats et controverses », Maël Brillant, étudiant en sociologie des religions, nous a fait parvenir cette réponse.

Maël Brillant  • 27 avril 2018
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Sur la laïcité et les droits des femmes : une réponse
© photo : BERNARD JAUBERT / ONLY FRANCE

Messieurs,

J’ai lu avec intérêt votre tribune portant sur la laïcité et les droits des femmes. Vous proposez un retour _« éclairé » sur ces notions sujettes à controverses. Cependant, là où vous semblez vouloir faire une distinction, il me semble au contraire important de faire dialoguer cause féministe et principe de laïcité.

Maël Brillant est étudiant en sociologie des religions à l'École pratique des hautes études. Il réalise une recherche sur la laïcité et les quartiers de la politique de la ville.

Un retour éclairé ne saurait être si, en préambule, nous ne redonnons pas à chacune des notions la place qui est la leur. Nous conviendrons que le féminisme est une cause, soutenue par des mouvements pluriels, alors que la laïcité est un principe républicain et constitutionnel. En ce sens le second peut être l’outil de la première afin d’aller vers plus d’égalité entre les femmes et les hommes, mais ces notions sont incomparables puisque de natures complètement différentes. Cependant, il fait bon de le rappeler : la laïcité peut être l’outil de toutes causes allant dans le sens de la défense de la liberté de conscience, de la fraternité, du vivre-ensemble ou bien, et c’est le cas ici, de l’égalité politique. Ainsi nous voyons bien qu’il n’y a pas deux combats comme vous le suggérez : il y a d’un côté, un combat pour une cause et, de l’autre, un outil républicain pouvant l’appuyer.

La laïcité, c’est l’affirmation de la pluralité au sein de la République, c’est l’affirmation du « ensemble » et finalement, rien ne serait plus antilaïque que de faire de la laïcité un combat : lorsque le Conseil d’État rompt un arrêté rendant le porc obligatoire à la cantine, ce n’est pas le combat de la laïcité, c’est celui des droits de l’enfant ; lorsque le Conseil d’État rompt les arrêtés municipaux interdisant le port du burkini, ce n’est pas le combat de la laïcité, c’est celui de la liberté fondamentale d’aller et venir, etc… En bref, nous combattons pour des valeurs, la laïcité n’en est pas une.

Nous l’avons vu plus haut, la laïcité est le principe qui fait battre le cœur de notre devise, comment ne pourrait-elle pas avoir un rapport profond avec l’égalité entre les femmes et les hommes ?

La condition des femmes, tous les sociologues des religions le savent, est un indice du niveau de sécularisation (1) des sociétés observées, car la condition des femmes vient, bien sûr, d’une tradition longue de soumission organisée par les grands monothéismes (2). Un article du Monde diplomatique datant de mars 2018 et portant sur les rapports du Kremlin et de l’Église orthodoxe nous le rappelle par les chiffres : en janvier 2018, lors d’un sondage, 35 % des personnes interrogées se disent _« choquées » par l’avortement, ce chiffre a doublé en vingt ans. Durant cette période le Kremlin a opéré un virage fort vers le conservatisme social en renforçant les liens avec l’Église dans le but de « consolid[er] les valeurs spirituelles ». Je vous épargne un commentaire supplémentaire sur le recul des droits des femmes en Égypte, en Turquie (dont la laïcité kémaliste a été déconstruite par l’AKP) ou bien leur inexistence en Iran tout comme dans d’autres théocraties modernes… Au vu de ces exemples très rapides, difficile de ne pas faire de la séparation des pouvoirs temporels et spirituels (la base de l’État laïc) une des conditions de l’avancée des droits des femmes. Ce détour international nous permet de mesurer à quel point les deux notions sont liées.

En rapport à notre situation nationale, vous tentez de vous appuyer sur la loi de 2010 pour démontrer que le terrain juridique n’est pas favorable à une corrélation entre les deux notions. Mais la loi de 2010 est très singulière, elle ne trouve d’appui juridique ni au nom de l’égalité femmes hommes, ni au nom de la laïcité – elle introduit une autre notion, celle des exigences minimales de vie en commun – laissons-la en dehors du débat : Il ne faudrait pas commettre l’erreur d’apprécier no(s)tre laïcité(s) française(s) sur la base de cette seule loi et sans faire appel aux stratégies des acteurs politiques de l’époque (François Fillon en qualité de Premier ministre).

Par ailleurs, saisir la laïcité française demande de convoquer un grand nombre de discipline (histoire, sociologie, sciences politiques, philosophie, etc.) : si elle a une vie dans le droit, ce n’est qu’un prisme de la vie (riche) qu’elle mène dans les idées et dans notre société. Alors, selon moi, vous faites une erreur en rapportant la laïcité à sa seule existence juridique (lois de 1905 et de 2010, dont aucune ne lui fait appel), car chemin faisant vous la coupez de ses objectifs éthiques.

Et, tout au contraire, il est évident que les courants féministes convoquent une laïcité philosophique visant l’émancipation et l’égalisation des conditions, vous ne pouvez leur opposer une laïcité seulement normative et à l’existence plate.

Merci de m’avoir permis d’y penser,

Bien respectueusement,

Maël Brillant

(1) Mouvement d’effacement de la l’influence des religions au sein d’une société.

(2) Sur ce sujet, voir les travaux d’Isabelle Lacoue-Labarthe, maîtresse de conférences à l’IEP de Toulouse.

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Tribunes

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