Arménie : fragile victoire

Nikol Pachinian, qui a appelé, le 2 mai, les manifestants à lever les barrages et à rentrer chez eux, dit avoir obtenu l’assurance que « tous les groupes parlementaires soutiendraient (sa) candidature » au poste de Premier ministre.

Denis Sieffert  • 3 mai 2018 abonné·es
Arménie : fragile victoire
© photo : ARAM NERSESYAN / SPUTNIK

La révolution dite de velours, qui rassemble depuis un mois des dizaines de milliers d’Arméniens en révolte contre un système post-soviétique autoritaire et corrompu, est-elle sur le point de triompher ? Oui, si l’on en croit son meneur, le très charismatique Nikol Pachinian, qui a appelé, le 2 mai, les manifestants à lever les barrages et à rentrer chez eux. Pachinian dit avoir obtenu l’assurance que « tous les groupes parlementaires soutiendraient (sa) candidature » au poste de Premier ministre lors de la réunion du parlement prévue pour 8 mai, y compris le Parti républicain, majoritaire, au pouvoir.

C’est un retournement de situation inespéré après les événements du 1er mai, lorsque les députés avaient rejeté la candidature de l’opposant. Contrairement à ce que certaines déclarations avaient alors laissé entendre, le Parti républicain avait en effet voté contre lui. Pachinian, qui avait promis en cas de rejet de sa candidature, un « véritable tsunami politique », avait tenu parole, appelant la population à bloquer les routes et les moyens de transport. Le 2 mai, la mobilisation était massive. Mais, l’ombre tutélaire de la Russie planait pour la première fois sur la crise.

À l’origine du mouvement, la volonté du Président sortant, Serge Sarkissian, de contourner la constitution en devenant Premier ministre, c’est-à-dire en conservant la réalité du pouvoir. La mobilisation avait contraint Sarkissian à renoncer le 23 avril. Mais, nommé Premier ministre par intérim, Karen Karapetian n’est autre que l’ancien patron de Gazprom, le géant russe de l’énergie. C’est dire qu’il a lui aussi l’oreille de Vladimir Poutine. Or, ce personnage avait refusé de négocier avec Pachinian. Quant au chef du Parti républicain, Edouard Charmazanov, il avait estimé que le leader de la contestation était « trop imprévisible » et « un peu libéral ». Là encore, on ne pouvait pas ne pas voir les craintes de Moscou face à un homme qui se compare à Vaclav Havel et à Lech Walesa, deux grandes figures de révolutions anti-soviétiques, en Tchécoslovaquie et en Pologne.

Il n’en reste pas moins vrai que Pachinian, ancien journaliste, plusieurs fois emprisonné par le régime, avait plus que jamais la confiance de la population. Il se présente comme le héraut de la lutte anticorruption dans ce pays de 2,9 millions d’habitants en proie à une très grande pauvreté, et sous l’emprise d’oligarques qui dominent l’économie. Longtemps resté en retrait de la crise, Vladimir Poutine se montrait de plus en plus présent. Le président russe ne peut évidemment pas voir d’un bon œil un mouvement au caractère révolutionnaire dans un pays de l’espace ex-soviétique. Les précédents géorgiens et ukrainiens sont là pour nous le rappeler. Même si, dans le cas présent, l’influence des occidentaux n’est pour l’instant pas perceptible dans une crise essentiellement sociale et politique. La mobilisation massive du 2 mai a-t-elle amené les partisans de l’ancien régime à revoir leur position pour éviter un affrontement ? C’est probable dans un pays qui n’a pas la portée stratégique et symbolique de l’Ukraine. Reste à savoir si Nikol Pachinian aura les coudées franches ou s’il sera l’otage de ses adversaires.

Aperçu de l’ambiance dans les rues d’Erevan :

Monde
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