Lisa Spada : Fenêtre sur soul

La très talentueuse chanteuse Lisa Spada fait peau neuve au Sunside à Paris avec un nouveau groupe et de nouvelles compositions.

Pauline Guedj  • 30 mai 2018 abonné·es
Lisa Spada : Fenêtre sur soul
© photo : BYLU

Lisa Spada est une figure méconnue de la scène musicale française. Incontournable pour qui s’intéresse à la soul, force créatrice d’une scène collective d’où ont émergé des talents, elle est trop longtemps restée dans l’ombre. Pourtant, beaucoup, chez elle, justifierait qu’elle soit inscrite en tête de liste des meilleurs festivals.

Lisa Spada fait preuve d’une maîtrise bluffante des registres de sa voix, d’un talent d’interprétation subtil au service des morceaux, où les envolées virtuoses bien réelles restent contenues dans une retenue pudique. Chanteuse éclectique, elle malaxe les influences, jazz, hip-hop, électro, mais reste ancrée dans la soul, une musique dont elle a intégré les profondeurs et analysé les dimensions sociales et culturelles.

Lisa Spada associe son amour de la musique à une compilation enregistrée par son père alors qu’elle avait 8 ans : Mavis Staples, Otis Redding, Sam Cooke et celle qui deviendra son idole, Aretha Franklin. Son père a du goût. La jeune Lisa chante avec application, reproduit les mélodies, les partitions des choristes d’abord, consciente de la perfection technique nécessaire pour livrer une interprétation soul sentie. « Je comprends qu’il se passe quelque chose quand je chante, se souvient-elle, et que peut-être je pourrais faire de la musique. »

À la fin des années 1990, la chanteuse joue le jeu des auditions. En 2000, après un casting qui doit lui ouvrir les portes d’une carrière, on lui propose de faire des voix pour des comédies musicales. Lisa Spada espère, mais « il ne se passait jamais rien, juste des propositions d’album en variété, pas mon truc. J’ai eu envie de revenir à ce que j’aimais ».

À l’époque, une scène soul française se développe. Une poignée de musiciens avec un parrain, Juan Rozoff, et des artistes prometteurs : Sandra Nkaké, Sly Johnson. « Il y avait des soirées spéciales Prince, Stevie Wonder ou Aretha » et, pour la première fois peut-être, « un vrai niveau ». À Paris, le bar le Réservoir devient sa deuxième maison. Lisa Spada intègre la chorale Gospel pour 100 voix, où elle rencontre de nouveaux artistes et, progressivement, se voit auréolée d’une réputation de meneuse. « Dans le milieu underground, je suis connue pour monter des projets avec plein de gens. » Bientôt, ce sera le temps des soirées « Let’s Get Together », où cette scène soul française prend corps à travers les générations.

Couronnée en 2006 d’un prix « découverte » de la Sacem, Lisa Spada mène en parallèle des projets personnels. Un premier duo jazz/électro Third Shot avec le contrebassiste Gaël Maffre. Le groupe enregistre un album en 2008 et fait des premières parties, notamment celle d’un concert de Carla Bley. En 2014, suit un disque solo, Family Tree, mêlant soul et hip-hop, où se multiplient les invités et où s’impose une production légèrement saturée. Bien qu’elle soit parfois dissimulée sous des nappes de samples, la beauté de la voix perce dans plusieurs morceaux, comme captée dans la fraîcheur d’une interprétation live : « Take Me as I am », « Soul Mate », « You’re A Man », « My Fault ».

Difficile à cataloguer, Lisa Spada sort son album seule et poursuit sans tourneur. Le disque vivra sur scène mais pas autant qu’elle l’aurait souhaité. « On est enfermés dans des cases », dit-elle. Un problème auquel elle ne cesse de se confronter. « En France, en hip-hop, il n’y a de place que pour le rap. En musique actuelle, mon disque était estampillé R&B et le genre est vomi par la plupart des médias si tu n’es pas anglo-saxon. Ce n’est pas non plus de la chanson. »

La tradition soul s’est un temps ouverte à un public plus large avec l’ascension éphémère de Ben l’Oncle Soul. Le phénomène « a ouvert une porte mais l’a refermée aussitôt, en jetant la clé. Aucune opportunité n’a été créée pour les autres. Un artiste soul à la fois, et voilà ! Même s’il existait une scène soul parisienne avec beaucoup de musiciens, on ne pouvait espérer un parcours similaire ».

Sans pour autant considérer les expériences comme équivalentes, Lisa Spada se reconnaît une affinité avec le récent manifeste de seize actrices noires (1), qui dénonce les catégorisations. Pour percer, il est malheureusement préférable d’avoir l’apparence physique stéréotypée associée à l’art qu’on pratique. « J’en ai souvent pâti, même pour trouver des contrats de choriste. Moi, je ne peux pas être choriste soul, et inversement une chanteuse noire ne pourrait faire que ça. »

Aujourd’hui, Lisa Spada ouvre une fenêtre sur le monde du jazz. Nul opportunisme, mais ce qu’elle analyse comme un parcours d’écoute. « Les musiciens de soul m’ont amenée à écouter tous les courants des musiques afro–américaines, et évidemment le jazz. » L’enjeu est de garder son identité soul tout en élargissant le champ des improvisations et en privilégiant l’intimité d’une formation acoustique. « J’ai eu envie de me poser, d’entendre ma voix résonner dans les instruments. »

Au Sunside, Lisa Spada s’apprête à jouer ses nouvelles compositions, qui devraient constituer la base de son troisième album. Au piano, Leonardo Montana ; à la batterie, Toma Milteau ; à la contrebasse, Damian Nueva ; à la guitare, Laurent Avenard. « C’était un petit défi : proposer à des musiciens que je ne connaissais pas mes maquettes, un climat. » Un nouvel appel du collectif, donc, mais placé cette fois-ci essentiellement au service de sa voix exceptionnelle et de sa place, à part, dans le paysage musical français.

(1) Noire n’est pas mon métier, Seuil.

Lisa Spada, Sunside, Paris Ier, 3 juin à 17 heures.

Musique
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