Sauf vot’respect

Si Le Monde osait un jour faire semblant de découvrir qu’il vaut mieux être actionnaire que salarié·e, ça serait carrément du foutage de gueule.

Sébastien Fontenelle  • 16 mai 2018 abonné·es
Sauf vot’respect
© photo : ERIC PIERMONT / AFP

Ce matin – lundi 14 mai 2018 –, Oxfam France, organisation non gouvernementale qui « lutte contre les injustices et la pauvreté », a publié avec le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic) une étude qui confirme que les bénéfices des entreprises du CAC sont très – très, très – inégal(itair)ement répartis entre leurs actionnaires (qui en captent, en dividendes, 67,4 %) et leurs salarié·e·s (qui en grappillent 5,3 % – les 27,3 % restants étant réinvestis dans ces entreprises).

Découvrant cela, l’éditorialiste (anonyme, comme d’hab) du Monde constate d’abord, dans l’édition de ce soir : « Mieux vaut être actionnaire que salarié, si l’on en croit les conclusions du rapport publié par […] Oxfam et le […] Basic [et qui] montre que, depuis 2009, les actionnaires des groupes du CAC 40 ont été généreusement servis en accaparant plus des deux tiers des bénéfices de ces entreprises. » Puis d’ajouter : « L’évolution actuelle du capitalisme conduit à un certain nombre de déséquilibres. » (Qu’en termes délicats…) Avant de conclure : « Les excès observés ces dernières années incitent à penser que le balancier a été trop loin », au détriment, donc, des travailleuses et travailleurs (1).

Ce que lisant, je me suis demandé si l’éditorialiste du Monde n’était pas encore une fois en train de nous prendre pour des imbéciles. J’ai donc interpellé un enfant d’environ 5 ans pour lui demander : hey, Tom Pouce, ça fait combien de temps, exactement, que tu sais que le capitalisme est depuis de très longues décennies une gigantesque machine à serrer les ceintures des salarié·e·s pour mieux gaver les actionnaires ? Et bien sûr ce minuscule personnage m’a répondu que ça faisait environ cinq ans, m’sieur – pourquoi ? Vous pensez qu’il y a encore des demeuré·e·s qui ne l’ont pas remarqué ?

Ce qu’oyant, je lui ai demandé s’il savait aussi par quels trucs et astuces les capitalistes sont de si longue date arrivé·e·s à installer cela, qui est pourtant insupportable, et que pourtant nous supportons. Et, bien sûr, il m’a répondu que c’est notamment parce qu’ils bénéficient du constant soutien des journalistes dominant·e·s, m’sieur, tout le monde le sait – et tout le monde sait que l’un des endroits où se forge ce consentement est justement Le Monde, qui depuis ces mêmes très longues décennies dont vous parliez tàleure répète chaque jour qu’il convient d’adhérer à l’évolution actuelle du capitalisme, de sorte que, si ce même journal osait un jour faire semblant de découvrir qu’il vaut mieux être actionnaire que salarié·e, ça serait carrément du très, très, très gros foutage de gueule caractérisé, m’sieur, sauf vot’respect.

Je me disais bien, aussi…

(1) J’ai trouvé cette formule dans un vieux tract de Lutte ouvrière, circa 1972. Je la dédie aux camarades qui me piétinent régulièrement les partis Baas – je me comprends – en criant qu’oui, d’accord, mais la lutte des classes, t’en fais quoi, de la lutte des classes ?

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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