Violences sexuelles : « Ne pas dire oui, c’est dire non ! »

Le projet de loi défendu par Nicole Belloubet et Marlène Schiappa marque un grave recul pour les droits de l’enfant, suscitant l’indignation. Explications de Madeline Da Silva.

Ingrid Merckx  • 15 mai 2018 abonné·es
Violences sexuelles : « Ne pas dire oui, c’est dire non ! »
© photo : ANDREAS RENTZ / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images/AFP

Elle était attendue, cette loi contre les violences sexuelles et sexistes. Dans la foulée des mouvements #metoo et #balancetonporc, sa préparation a laissé espérer des mesures permettant d’en finir avec la culture du viol. Mais la montagne accouche d’une souris : le projet de loi défendu par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, et la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, et discuté les 14 et 15 mai à l’Assemblée, n’est pas à la hauteur des attentes. Pire, pour un certain nombre de défenseurs des droits des femmes et des enfants, il marque des reculs.

À lire aussi >> Notre dossier « Consentement sexuel : Ce que oui et non veulent dire »

La commission des lois de l’Assemblée a adopté dans la nuit du 9 au 10 mai une modification de la loi qui fait plutôt consensus, puisqu’elle permet de punir le harcèlement quand il est le fait d’un groupe sur un individu, y compris sur Internet, ce que le gouvernement a nommé « raids numériques ». C’est l’article 3 de ce texte. Le quatrième et dernier article relatif à la création d’un « outrage sexiste » dans le cadre de « harcèlement de rue » soulève des réactions sceptiques, car l’infraction devra être constatée en flagrant délit et sera sanctionnée par des amendes allant de 90 à 750 euros, voire 3 000 euros en cas de circonstance aggravantes : sur un mineur de 15 ans, une personne vulnérable, dans les transports collectifs…

L’article 1 déçoit. Bien qu’il prévoie un allongement du délai de prescription de 20 à 30 ans pour les crimes sexuels sur mineurs, nombreux souhaitaient que ces crimes soient imprescriptibles, car les victimes mineures peuvent mettre des décennies à faire remonter la violence subie et à sortir de ce qu’on appelle une « amnésie traumatique ».

Mais c’est l’article 2 qui déclenche le plus de colères. Deux cent cinquante personnalités ont ainsi lancé un appel à Emmanuel Macron pour réclamer son retrait. Alors que Marlène Schiappa avait laissé entendre que la loi fixerait un seuil d’âge pour le consentement sexuel, la version finale, après passage en commission des lois, évite de graver ce seuil dans le marbre. Le texte considère que, dans le cas d’abus sexuel sur mineur de moins de 15 ans, la contrainte morale ou la surprise, qui permettent de déterminer s’il y a eu viol, _« sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ».

Le projet de loi double également la peine d’emprisonnement et porte à 150 000 euros d’amende le « délit d’atteinte sexuelle avec pénétration ». « Votre gouvernement souhaite faire évoluer la loi sur les violences sexuelles et permettre que le viol d’un enfant, un crime, soit jugé comme un délit, alerte une pétition adressée au Président, #leviolestuncrime, qui a recueilli 50 000 signatures le jour de son lancement, le 14 mai. L’article 2 du projet de loi sur les violences sexuelles change en effet la loi. Votre gouvernement crée un nouveau délit, c’est “l’atteinte sexuelle avec pénétration”. Vous avez bien lu. “Atteinte sexuelle avec pénétration”. On parle donc d’un viol. Pour votre gouvernement, ce n’est pas un crime, c’est un délit. » Les opposants au texte craignent ainsi que le texte minimise le viol sur mineurs en le « correctionnalisant » : délit, il sera jugé en correctionnelle et non en Cour d’assises, comme aujourd’hui.

Militante des droits de l’enfant et maire-adjointe chargée de la petite enfance aux Lilas (Seine-Saint-Denis), Madeline Da Silva est à l’origine de cette pétition, qui suit deux autres pétitions qu’elle a lancées contre les violences sexuelles et sexistes. La première réclamant en avril 2017 l’inéligibilité pour les élus coupables de violences faites aux femmes a réuni 96 747 signatures. La deuxième, qui date d’octobre 2017, demande la fixation d’un « seuil de non-consentement » à 15 ans. Elle totalise à ce jour 418 000 signatures.

Le gouvernement Macron avait annoncé un grand projet de loi « renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ». Pourquoi le texte soumis aux députés le 14 mai ne répond-il pas à cette ambition ?

Madeline Da Silva : Sur les violences sexuelles et sexistes, ce texte se résume à de la communication. Il propose quelques avancées sur le cyberharcèlement. Mais, sur l’outrage sexiste, il n’envisage même pas de formation pour les policiers. Voudrait-on faire également croire qu’une femme outragée dans la rue se trouvera justement à côté d’un agent qui va verbaliser sur-le-champ ? Et comment penser un tel projet de loi sans budget afférent ? Mais le plus grave, c’est cet article 2 qui non seulement ne protège pas les enfants, comme s’y était pourtant engagé le Président Macron, mais fait reculer leurs droits et laisse craindre d’autres « verdicts de Pontoise », du nom de cette affaire où une fillette de 11 ans a vu son violeur condamné pour « atteinte sexuelle » [en septembre 2017, NDLR].

© Politis

Comment expliquer ce recul ?

On avance le fait que le Conseil d’État a retoqué le texte sur la fixation d’un seuil de consentement. Le 21 mars, il avait en effet mis en garde contre le « risque d’inconstitutionnalité » d’un seuil de non-consentement fixé à 15 ans, en ce qu’il pourrait induire une présomption de culpabilité. Mais ce risque n’existe pas si l’on parle de « non-consentement simple », qui ne porterait pas atteinte aux droits de la défense. Il existerait éventuellement pour un « non-consentement irréfragable » – qu’on ne peut contester. Et encore, il aurait fallu aller jusqu’au bout de la procédure pour en être sûr juridiquement. Toujours est-il que le gouvernement, ne sachant comment se sortir de cette question épineuse du consentement pour les mineurs, a décidé de contourner le problème en créant un nouveau délit d’« atteinte sexuelle avec pénétration ». Or, cette notion de pénétration est une caractéristique du viol. Si ce projet de loi est adopté, demain, un enfant pourra être pénétré dans sa bouche, son sexe ou ses fesses avec un sexe, un doigt, ou un objet, et ce ne sera plus considéré comme un viol mais seulement comme un délit. On essaie de nous faire croire qu’on renforce le délit d’atteinte sexuelle, mais on y ajoute une caractéristique du viol ! Ce qui revient à moins punir le viol qu’avant. Cet article 2 est inadmissible. Et il est passé en catimini.

En catimini ?

Personne, ni aucun média, n’avait réalisé le contenu de cet article 2 qu’on est allé chercher à la sueur du militantisme avant de lancer l’alerte avec la pétition #leviolestuncrime. Le Groupe F, groupe d’action contre les violences sexistes et sexuelles cofondé par la militante féministe Caroline De Haas fin novembre 2017, et qui compte plus de 7 000 membres, a été le seul endroit où nous avons été entendus à propos de ce délit et où nous avons pu travailler avec des pénalistes. Ceux-ci nous ont assuré que ce délit allait fragiliser gravement les droits des enfants.

Vous réclamiez pourtant la fixation d’un seuil de non-consentement ?

On a une difficulté avec le consentement en général, et celui des enfants en particulier. Aujourd’hui, puisque c’est à la victime de prouver qu’elle n’était pas consentante, les situations où des enfants frappés de stupeur, paralysés, doivent s’exprimer sur leur volonté au moment des faits, sont extrêmement compliquées. Ce devrait pourtant être simple : si le projet de loi avait créé un seuil d’âge, on aurait inversé la charge de la preuve. Un seuil de non-consentement simple fixé à 15 ans permettrait notamment d’éviter la condamnation d’un jeune majeur de 18 ans et deux mois ayant eu une relation sexuelle avec une mineure de 14 ans trois quarts, par exemple. Si on conservait le caractère irréfragable, je serais favorable à un seuil de 13 ans. Parce qu’une relation sexuelle en dessous de 13 ans, même avec un jeune majeur, c’est un viol. La majorité sexuelle existe dans la loi, et elle est fixée à 15 ans, mais elle ne protège de rien, comme l’a prouvé l’affaire de Pontoise…

Fondamentale pour les enfants, la question de l’inversion de la charge de la preuve n’est-elle pas également très importante pour les femmes victimes de viol ?

Absolument ! Si on voulait aller au fond des choses, il faudrait revoir la définition du viol. Aujourd’hui, elle est caractérisée par l’acte de l’auteur – « violence, menace, surprise, contrainte » – et n’est pas centrée sur les effets sur les victimes. En 2018, on pourrait décider de lier le viol à l’absence de consentement. On pourrait très bien intégrer dans les débats que le fait de ne pas dire oui, c’est dire non. La France est un pays peu répressif concernant les relations sexuelles avec des mineurs : les sursis se multiplient… Ce projet de loi raté aura au moins permis l’ouverture d’un débat sur la pédocriminalité. Le travail du précédent gouvernement sur cette question n’a pas été suivi de loi. Or, les violences à l’encontre des enfants mobilisent encore moins que les violences faites aux femmes. En 2018, une femme frappée, ça choque, un enfant frappé, c’est encore de l’éducation. On est loin d’être arrivé sur les violences faites aux femmes. Mais sur les enfants, on est obligé de passer par la pire des violences, le viol, pour être entendu. On est encore à questionner le consentement d’un enfant, y compris dans le cadre d’un inceste !

La secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, vous a-t-elle auditionnée ?

Marlène Schiappa m’avait entendue à propos de la pétition sur l’inéligibilité des élus coupables de violences. Mais elle n’a jamais voulu me recevoir sur les questions relatives au consentement. À partir du moment où j’ai été nommée par la militante féministe Caroline De Haas dans un tweet, j’ai été considérée comme une opposante politique. La secrétaire d’État fait donc fi des 418 000 personnes qui ont signé la pétition sur le consentement. Qu’en sera-t-il des 250 personnalités qui ont lancé un appel à Emmanuel Macron pour faire retirer l’article 2 du projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes, et des signataires de la pétition #leviolestuncrime ?

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