Slimane Dazi : Avec sa gueule de métèque

Dans un récit autobiographique poignant, Slimane Dazi revient sur ses origines algériennes et son parcours jusqu’à devenir comédien.

Jean-Claude Renard  • 16 juillet 2018 abonné·es
Slimane Dazi : Avec sa gueule de métèque
photo : Slimane Dazi dans Les Derniers Parisiens, réalisé par Hamé et Ekoué, de La Rumeur, en 2016.
© La rumeur filme/Haut et Court/Collection ChristopheL

Lui s’en souvient : Salif Keita, dit « la Panthère noire », débarquant, à l’aéroport d’Orly le 14 septembre 1967. Avec pour tout bagage son dribble chaloupé et son sens du but. Le joueur de foot malien avait quitté l’Afrique pour signer à Saint-Étienne. Keita a scoré comme on enfile des perles. Plus tard, on apprendra qu’il était moins bien payé que ses partenaires blancs. Pas un mot plus haut que l’autre. Sa colère n’en restait pas moins digne. « Elle rejoint la mienne, celle de l’indigène que je suis », écrit aujourd’hui Slimane Dazi dans son autoportrait, ce récit d’une vie entre deux rives, étiré de l’enfance à l’âge mûr, Indigène de la nation.

Slimane Dazi. Un nom qui claque. Une trogne d’assassin besogneux, aux yeux bleus perforants. Difficile de passer inaperçu avec un visage de métèque pareil, véritable réclame pour le délit de faciès. Crevant l’écran dans Un prophète, de Jacques Audiard, repéré amplement dans Rengaine, de Rachid Djaïdani.

Slimane est né un jour de mai, en 1960, à l’hôpital de la Maison de Nanterre. Le printemps de sa vie se déroule en banlieue, entre une mère douce et enveloppante et un père puisatier mineur, dans le respect des valeurs. Dans une maisonnette de deux pièces pour une fratrie de neuf mouflets. Slimane en est le grand frère, dépositaire de l’ordre et de la tradition, avant que la famille ne s’installe dans une tour de Cachan.

D’autres cités suivront, les petits boulots au bout des échecs scolaires, d’une formation en électromécanique (étudiant des moteurs qu’il n’allait jamais installer) aux années de camelot à la petite semaine sur les marchés. Jusqu’à faire la ventouse pour les tournages. Entendez le gus qui gère les emplacements sur la voie publique pour préserver le tournage d’un film.

D’une virée l’autre, Slimane Dazi rencontre Rachid Djaïdani, qui fera de lui un comédien. Autodidacte pur jus. Jusqu’à demeurer « enfermé dans sa gueule » et refuser notamment de jouer un type d’une cellule terroriste de Molenbeek pour Brian de Palma. « Ce qu’on voit en moi, c’est un type du peuple, certes, mais un métèque, point », écrit-il dans ce récit.

En marge de l’ouvrage, Slimane Dazi poursuit : « Je fais mon job avec passion en faisant gaffe à ne pas faire tout et n’importe quoi. » Avec un regard sur le cinéma français :

Les sujets sont terriblement pauvres, entre la branlette de gauche caviar intello à deux balles et les comédies vulgaires grossières racistes. À côté de films à gros budget, il reste les miettes, celles qui dérangent politiquement par le sujet traité, par le choix du casting avec des gueules qui ne sont pas lisses, qui ne ressemblent pas à ce que le système a envie de nous imposer. Heureusement qu’il y a des cinéastes étrangers pour des rôles dotés d’une réelle nourriture artistique. Sur une série norvégienne, par exemple, où j’interprète un professeur de physique quantique, ou à Dublin, pour une série irlandaise avec un magnifique personnage poétique et drôle sur un sujet pourtant grave à propos d’un centre de rétention pour migrants.

Reste un bémol dans cette histoire belle, cet itinéraire chaotique qui met en lumière la génération d’enfants d’immigrés, « la première à naître du grand chantier des guerres d’indépendance » : « Je suis né en France en 1960, à l’époque où l’Algérie était encore française. Aujourd’hui encore je dois faire une demande de réintégration dans la nationalité française parce que mes parents, en 1962, quand il y a eu les accords d’Évian, ont choisi la nationalité algérienne et qu’à cette époque je n’avais pas encore la capacité de pouvoir choisir par moi-même. » Simple demande : le respect du droit du sol. Un droit « retiré » parce qu’il est un « sous-homme ». L’administration exige une tonne de papiers, et notamment un test de langue française. Lui, le comédien partout réclamé. Humiliation pleine. Une injustice qui motive à l’évidence ce récit autobiographique. Encore une autre histoire.

Indigène de la nation, Slimane Dazi, Éd. Don Quichotte, 256 p., 18 euros.

Littérature
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