Les grands commis de l’atome

Sur trois axes majeurs de la transition écologique, les intérêts privés dominent la prise de décision du pouvoir macroniste. Nucléaire.

Patrick Piro  • 5 septembre 2018 abonné·es
Les grands commis de l’atome
© photo : Le chantier de l’EPR, à Flamanville (Manche).crédit : CHARLY TRIBALLEAU/AFP

A-t-on souvenir d’avoir distingué aussi visiblement la coulisse, avec cette déclaration surréelle de Nicolas Hulot, le 7 novembre 2017 ? Mine déconfite, il est commis pour annoncer que la France ne tiendra pas l’engagement, pourtant inscrit dans la loi de transition énergétique et réaffirmé par Macron, d’une réduction d’ici à 2025 de 75 % à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité. Débutait seulement, alors, l’atelier sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui devait adopter un calendrier de fermeture de réacteurs nucléaires pour tenir cet objectif. La veille, Réseau de transport d’électricité (RTE), détenu en majorité par EDF, publiait un bien peu fortuit rapport mettant en garde contre une relance des émissions de CO2 en cas de baisse de la part du nucléaire. « On sentait bien qu’EDF menait la danse, conjointement avec Bercy, qui était en discussion pour s’assurer d’avoir à payer un minimum d’indemnités de manque à gagner à l’électricien », souligne Anne Bringault, du Réseau action climat (RAC). EDF avait livré sa position : hors Fessenheim, « pas d’autre fermeture avant 2029 ».

Autre ambition d’EDF : l’EPR, dont le premier exemplaire national, à Flamanville, a vu exploser son budget et ses délais. « Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, est toujours dans l’avion présidentiel pour vendre son nouveau réacteur lors des visites en Inde, en Chine ou ailleurs. »

Pour le nucléaire, la domination des intérêts privés sur la politique énergétique nationale est une vieille lune. « Mais c’est presque pire qu’avant, soupire Anne Bringault, nous n’avons aucun accès à la tête de l’exécutif. » Expert indépendant du nucléaire pour l’agence Wise et l’association Négawatt, Yves Marignac confirme « une forme de mise à l’écart sans précédent. Jamais il ne nous a été aussi difficile d’accéder au ministère de l’Économie ».

D’autant que l’entourage du pouvoir s’est étoffé de personnalités très nucléaires, insiste Charlotte Mijeon, du réseau Sortir du nucléaire. Charles Hufnagel, douze ans chez Areva (devenu Orano) et à la tête du pôle communication de Matignon ; Édouard Philippe lui-même, pendant trois ans directeur des affaires publiques de l’ex-numéro 1 mondial de la filière nucléaire (depuis, en partie racheté par EDF), et que Delphine Batho a défini comme un « lobbyiste professionnel ». Sans parler de Macron, cite l’eurodéputé EELV Yannick Jadot. « On peut s’interroger sur son rôle, alors ministre de l’Économie et ancien de chez Rothschild, qui finance EDF, lors de l’accord signé par l’électricien pour la construction de deux EPR à Hinkley Point en Angleterre, alors qu’un retrait aurait été catastrophique pour la filiale anglaise de la banque, déjà très engagée dans le projet. »

Pic de visibilité et de provocation : le lendemain de la démission de Hulot est rendu public un rapport qui suggère la construction de six EPR à partir de 2025 – précisément la date, désormais obsolète, où devait être achevé le recul à 50 % de la part du nucléaire. Les deux rapporteurs sont Yannick d’Escatha, ex-administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique, conseiller du PDG d’EDF, et Laurent Collet-Billon, qui fut à la tête, entre 2008 et 2017, de la Direction générale de l’armement, dont l’intérêt pour l’arme atomique rejoint celui du nucléaire civil.

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