Clandestin malgré lui

Persécuté en tant qu’opposant politique et peul, Diallo* a dû fuir la Guinée pour rejoindre la France. Mais il est « dubliné » vers l’Espagne, où, parfaitement francophone, il ne souhaite pas s’installer.

Ingrid Merckx  • 17 octobre 2018 abonné·es
Clandestin malgré lui
© photo : Des migrants sont accueillis dans l’enclave espagnole de Melilla, au Maroc, en septembre 2018.crédit : FADEL SENNA/AFP

Il doit tenir dix-huit mois. C’est ce qu’on lui a dit… À l’issue de cette période, Diallo pourrait demander l’asile en France. Pour l’heure, il est « dubliné » : parce qu’il est entré dans l’Union européenne par l’Espagne, le règlement de Dublin stipule qu’il doit y être renvoyé quoi qu’il arrive, même s’il ne souhaite pas y rester. C’est le lot de la plupart des réfugiés qui, arrivant par l’Espagne, l’Italie ou la Grèce, y voient leurs empreintes digitales enregistrées. Est-ce à dire que tous doivent déposer leur demande d’asile dans l’un de ces trois pays ? En attendant, Diallo est clandestin. À Nîmes. Et la clandestinité, lui qui est très attaché au respect des lois, il n’aime pas. Il est hébergé chez un ami. Ne peut pas travailler. Âgé de 30 ans, il tenait une boutique avec son père à Conakry. Aujourd’hui, il est sans ressources, alors qu’il a laissé en Guinée deux enfants sans leur mère, qui les a quittés, chez sa mère à lui, qui vit, malade, dans un petit village « avec seulement des grands-pères et des grands-mères… » Leur sort le tourmente, il voudrait leur envoyer de l’argent. Scolariser ses enfants en ville. Ou les faire venir près de lui.

Soirée de solidarité le 25 à paris

L’Aquarius n’a toujours pas de pavillon pour naviguer ; des enfants, des femmes, des hommes risquent toujours leur vie en tentant la traversée de la Méditerranée, et certains y meurent chaque semaine ; les dirigeants européens semblent toujours tétanisés par les égoïsmes nationaux ; mais des justes, en France, ailleurs, ne faiblissent pas et accueillent, parfois en bravant les États. Pour réveiller les consciences, Politis, Mediapart, Regards et les autres médias partenaires (1) organisent une soirée de solidarité à Paris jeudi 25 octobre, au cours de laquelle prendront la parole des migrants, des aidants, des personnalités signataires et des artistes. Montrer notre soutien en nombre est crucial. .

Gilles Wullus

(1) Alternatives économiques, Bastamag, L’Humanité, Bondy Blog, Le Courrier des Balkans, Là-bas si j’y suis, Siné mensuel et La Marseillaise.

Jeudi 25 octobre à 19 h, au Centquatre, 5, rue Curial, Paris XIXe. Accès : métro 7 (Riquet), bus 54 (Riquet) et 60 (Crimée-Curial), RER E et tram 3b (Rosa-Parks).

« J’aime mes enfants », répète-t-il en retraçant son périple. C’est à cause d’eux qu’il a été réticent à monter dans un « zodiac » pour traverser le détroit de Gibraltar avec 54 autres migrants. « Je ne voulais pas risquer ma vie. Des gens sont morts pendant la traversée… » C’est la Croix-Rouge qui les a secourus en mer, avant de les conduire à Melilla, l’enclave espagnole sur la côte marocaine. Opposant en Guinée, et peul, une ethnie ostracisée, Diallo a passé six mois en prison. Ses parents ont payé pour le faire sortir. Mais il a dû s’enfuir, sitôt ses enfants mis à l’abri. Il est parti en bus pour le Mali en septembre 2016. Il y a passé quelques mois. « Mais je craignais encore pour ma sécurité là-bas. » En quittant la Guinée, il n’avait pas d’objectif. Il a suivi des amis en Algérie, puis au Maroc, où ils l’ont convaincu que, parlant très bien français, il devait viser Paris. Dans chacun de ces pays, il a vécu comme il pouvait, de petits travaux, mais il était libre.

Melilla-Irun-La Chapelle

Quand la Croix-Rouge l’a conduit à Melilla, il s’est retrouvé dans un camp, « en détention ». « L’accès à l’alimentation n’était pas garanti, nous étions trop nombreux. Si on ne faisait pas la queue au bon moment, on loupait son tour. Mais si on aidait à l’entretien des lieux, assainissement, bricolage, etc., on pouvait espérer regagner la ville. Un bateau quittait le camp les mardis et jeudis. On l’appelle Salida [la sortie]. » C’est de cette manière qu’il est arrivé à Alicante, où la Croix-Rouge les logeait à deux ou trois dans de petites chambres d’hôtel meublé. « Je ne parlais pas la langue, j’avais du mal à communiquer. Personne ne m’avait dit que ma prise d’empreintes en Espagne me renverrait dans ce pays. » Diallo est remonté jusqu’à Bilbao, puis Irun où, avec quelques autres Africains, ils ont trouvé un passeur qui leur a fait traverser la frontière française. Moyennant finances. Lui n’avait pas d’argent, « mais comme je parle peul, bambara et français, j’ai servi de traducteur à d’autres qui m’ont payé le passage ».

Arrivé à Paris, et toujours soucieux des règles, Diallo s’est présenté au camp de réfugiés de La Chapelle. « Il fallait se lever tôt pour faire la queue et espérer être enregistré dans la journée. Au bout de quelques jours, on a compris qu’il fallait dormir sur place. On s’installait à même le sol. Avec des couvertures. Et les rats. Jamais de ma vie je n’aurais imaginé vivre dans de telles conditions. » Diallo a finalement réussi à passer la porte de la « Bulle », où il a été hébergé une semaine. « Au niveau de l’hygiène, c’était mieux. » Puis il a été envoyé dans un centre d’accueil et d’orientation (CAO) à Montpellier. Couvre-feu : 22 heures. Vingt-sept euros par semaine pour se nourrir dans une cabane partagée avec un petit micro-ondes. De là, il a été envoyé au centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de Nîmes. Il y a vécu trois mois : « Pas le temps de nouer des amitiés, c’est exprès. » Règlement de Dublin oblige, la France l’a ensuite expulsé vers l’Espagne.

Dans la jungle madrilène

Arrivé à Madrid, Diallo était perdu. « Il avait du mal à se repérer, explique Jeanne, sa “marraine” à Nîmes. On lui avait conseillé de se cacher en France, mais il voulait respecter son obligation de quitter le territoire (OQTF). On avait cherché des adresses d’associations avant son départ, mais il a été pris de court. » L’expérience a été violente. « À l’aéroport de Madrid, un policier espagnol m’a amené au poste de police puis à un centre de la Croix-Rouge, se souvient-il. Là, j’ai été reçu par une dame qui parlait un peu le français. J’ai dit que je voulais demander l’asile en Espagne. Elle m’a expliqué qu’il y avait peu de chance que ma demande soit prise en compte, car j’avais déjà refusé à ma première arrivée. Elle m’a également dit que pour prétendre à une aide de logement ou de nourriture, je devais me rendre au ministère de l’Intérieur pour obtenir une “carte rouge”, mais que je pouvais essayer aussi dans des “albergos”, qui pourraient peut-être me proposer un hébergement. Elle m’a laissé peu d’espoir. Elle m’a même dit que, si j’avais de l’argent pour un transport, je pouvais repartir en France. Elle a vu que mon papier “attestation de demande d’asile procédure Dublin” avait été tamponné par la police. » Les adresses d’hébergement étaient toutes complètes. La première nuit, il a dormi dehors, comme de nombreux autres dans le même cas. Le lendemain, il s’est rendu au bureau des réfugiés, qui ouvre à 9 heures. On lui a donné un badge pour attendre. « Il y avait déjà énormément de monde. Il fallait attendre dehors. Il n’y avait personne pour me traduire des explications données en espagnol. » À 13 heures, on lui a fait comprendre qu’il ne serait pas reçu ce jour-là.

« Je n’ai même pas pu savoir si ma demande d’asile pouvait être recevable. » Avec d’autres réfugiés, ils ont cherché un centre d’accueil. « Ce soir-là, j’ai juste pu acheter un peu de pain, car j’avais dépensé presque tout mon argent pour les tickets de métro. J’ai encore dormi dehors. Je ne pouvais pas me laver et je ne trouvais pas de toilettes publiques. » Le jour suivant, il a passé la journée à chercher des centres d’accueil. Il n’avait plus d’argent pour le métro. Il a à peine mangé. « Je ne me sentais pas en sécurité, seul, car j’étais désorienté. En fait, je ne sais pas lire des plans, même si je suis plutôt instruit et que je lis le français. Je préférais rester en groupe avec les autres réfugiés. Ils ont évoqué l’idée de repartir en France. J’ai hésité, car je voulais demander l’asile en Espagne, mais je ne voyais plus comment trouver de l’aide. J’étais désespéré et finalement je suis parti avec eux pour Irun et pour la France. »

Retour à Nîmes

« Il y a une petite communauté guinéenne à Nîmes. Je crois qu’il avait besoin d’être près des siens, estime Jeanne. Il ne peut contacter ses enfants directement. Il passe par un ami en France et reçoit des nouvelles par un ami là-bas. Il se fait beaucoup de souci pour eux. J’espère qu’il va obtenir l’asile politique », souffle cette militante de toutes les causes locales, dans cette ville où ni la mairie ni la préfecture ne se montrent très solidaires avec les migrants. « Mais il y a un tissu citoyen très fort ! » Jeanne a beaucoup aidé Diallo financièrement. « Mais j’ai dû arrêter. Je lui avais trouvé une famille dans les Cévennes, région très solidaire qui accueille énormément de migrants. Il n’a pas voulu repartir. » Diallo lui a raconté son histoire petit à petit. « J’aime marcher et il est très sportif. On allait se promener et c’est en marchant qu’il a commencé à se confier. » Diallo va devoir se résoudre à travailler au noir. Pour l’heure, il donne des coups de main dans des associations de solidarité, en échange de quelques repas.

(*) Les prénoms ont été changés.

Société
Temps de lecture : 8 minutes