« Delta Charlie Delta » : Deux morts sur ordonnance

Michel Simonot s’empare de la tragédie de Clichy-sous-Bois, en 2005, où deux adolescents fuyant la police ont été électrocutés.

Gilles Costaz  • 6 novembre 2018 abonné·es
« Delta Charlie Delta » : Deux morts sur ordonnance
© photo : ACCOMPAGNIMAGE/jc valot

D elta Charlie Delta » : cette formule que Michel Simonot a reprise pour le titre de sa nouvelle pièce respire et annonce la tragédie. C’est le terme (pudique !) des pompiers pour dire, en circuit interne, qu’il y a mort d’homme. Il a été utilisé pour le drame qui est ici rappelé et représenté : la course-­poursuite fatale de trois adolescents à ­Clichy-sous-Bois, en 2005.

Ces gamins qui baguenaudent ont le malheur de croiser une patrouille de police. Ils n’ont commis aucun méfait mais se sentent pris en faute ; les flics présument qu’ils ont de la « racaille » en face d’eux. Les jeunes s’affolent, accélèrent le pas, se cachent dans le premier édicule venu, un transformateur électrique. Dessus, il est écrit « Danger de mort », mais ils veulent vite se mettre à l’abri. Chez les policiers, personne ne pense à dire aux jeunes ce qu’ils risquent, ni à appeler EDF. On laisse les fuyards prendre place dans la forteresse et on attend à quelques dizaines de mètres. Leur mort est quasiment sur ordonnance. Deux ados sont électrocutés, le troisième s’en sortira.

Face à ce moment monstrueux, à ces deux décès qui auraient pu être facilement évités, Michel Simonot pense que le théâtre a un rôle à jouer. Après les médias, qui ont abondamment parlé de l’affaire – jugée en 2015, dix ans après les faits ! –, l’art dramatique peut conter l’événement d’une autre manière et surtout prendre à témoin ce que les Grecs appellent la Cité.

Tout en se souvenant de ses grands ancêtres, qui s’appelaient Eschyle et Sophocle, Simonot a épluché les comptes rendus et suivi le procès. Il a dégagé tous les éléments saillants et fait se succéder, en scènes condensées, le drame central, la fureur des habitants de Clichy-sous-Bois, la justice en action, qui, tardivement, relaxe les policiers…

Un coryphée, joué par une actrice remarquable, Clotilde Ramondou, proclame tout ce qui doit être partagé par des citoyens démocrates et exige justice et compassion. Les autres acteurs, Xavier Kuentz, Zacharie Lorent, Alexandre Prince et Catherine Salvini, avec la musicienne Annabelle Playe, aux chants très rythmés, incarnent une humanité contradictoire. La forte et nerveuse mise en scène de Justine Simonot déplace ce monde bouleversé dans une agora nocturne traversée de lumières. Voilà du grand théâtre politique dont on s’étonne qu’il ne soit pas plus représenté en France, d’un lieu subventionné à l’autre.

Delta Charlie Delta, Anis Gras, Arcueil, 01 49 12 03 29, jusqu’au 10 novembre. Puis en 2019 : Saran, 10 janvier ; Brive, 12 février ; Mende, 19 février ; Nîmes, 21 février ; Arras, 7 mars. Texte aux éditions Espaces 34.

Théâtre
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