Radio France : un CDI ? Patience !

Si la situation s’est un peu améliorée à Radio France, le recours aux CDD reste massif dans un système frappé d’omerta.

Jean-Claude Renard  • 21 novembre 2018 abonné·es
Radio France : un CDI ? Patience !
© photo : LUDOVIC MARIN/AFP

Des contrats d’un jour à deux mois. Au bout du compte, Éric* aura effectué 64 CDD en un peu plus de trois ans, au poste d’attaché de production, en « remplacement » ou « en surcroît de travail ». Des contrats qui lui ont permis de travailler à coup sûr l’été, le temps des vacances scolaires et les jours de fête. Le reste de l’année, il a compté sur les arrêts maladie des salariés, « en général de dernière minute ». Il faut savoir se rendre disponible à tout moment. « En gros, c’est du jonglage et du pari. Ça paye parfois, parfois pas. » Trois années comme ça. Quand tombe un atelier formation, par curiosité, il demande à y assister, au moins en tant qu’auditeur libre. Il est à ce moment précis sous contrat, mais la direction des ressources humaines lui répond que c’est impossible parce qu’il ne fait pas partie de l’entreprise… Il n’en reste pas moins dévoué et disponible.

Dans d’autres circonstances, Éric s’est retrouvé à former des employés qui postulaient à son propre poste, pour, in fine, voir recaser en CDI une autre personne dont la direction ne savait que faire. Bienvenue dans l’absurdie. Il a vécu suspendu au téléphone dans l’attente d’un contrat. Au bout d’un certain temps, il n’a plus été appelé. Il a compris : son temps de CDD était dépassé. Fin des reconductions.

De son côté, Vanessa* s’en est mieux sortie. Trois ans et demi de CDD, près de 200 contrats au compteur. Des CDD d’attachée de production qu’elle signe quitte à faire des remplacements sur des postes qui n’ont rien à voir avec son métier, quitte à remplir les tâches de deux temps pleins dans la même semaine. Pour un salaire mensuel moyen de 1 500 euros, prime de précarité et congés payés compris. En période de vaches maigres, Vanessa a tourné autour de 500 euros. Les indemnités chômage pallient le manque. Au bout de cette abnégation, un CDI.

À Radio France, « il existe encore un recours abusif aux CDD, rapporte Lionel Thompson, délégué SNJ-CGT, même si la direction fait plus attention sur un certain nombre d’irrégularités. Il reste néanmoins des enchaînements de contrats qui ne respectent pas forcément les délais de carence. Des CDD qui pallient des RTT ou des congés, relevant normalement du besoin permanent de l’entreprise ».

Ce système touche un quart des journalistes, puis les techniciens, les animateurs de radio locale, qu’on appelle les « Parl » (personnel des antennes de radios locales), les attachés de production et nombre de petits postes comme les documentalistes ou les chargés des relations extérieures. En 2017, on comptait ainsi 348 journalistes en CDD équivalent temps plein, dans une entreprise forte de plus de 4 000 salariés.

« Chaque contrat doit être étudié de près, poursuit Lionel Thompson. Encore faut-il que le salarié soit prêt à aller en justice pour contester. Ça n’arrive que rarement, parce qu’ils sont, dans ce cas, en effet requalifiés mais aussitôt après licenciés, à moins d’une forte mobilisation autour. Or, ce sont tous des gens qui veulent travailler. » Un précaire qui se tourne vers la justice n’obtiendra plus de contrat. « En radio, le plus gros employeur reste Radio France, pointe Vanessa. Si on se tourne vers la justice, on n’a plus de boulot par la suite. »

Il n’y a guère que des personnalités connues, des figures emblématiques comme Serge Le Vaillant ou Laurent Lavige, qui vont au bout (au reste, après avoir été évincés), et qui finissent d’ailleurs par gagner, « mais pas les jeunes journalistes en CDD qui sont inscrits au planning [tableau de l’emploi du temps des journalistes tournants, NDLR] et qui espèrent être intégrés un jour en CDI », observe Lionel Thompson. De quoi faire régner une omerta, dans un système bien rodé. « C’est comme ça que ça marche, poursuit Lionel Thompson. La direction n’a pas besoin d’être très explicite, c’est parfaitement intégré. »

S’il est difficile de sortir de ce système, Lionel Thompson souligne qu’il y a maintenant longtemps que « la demande d’une brigade de remplacement a été faite, une brigade de CDI pour intégrer une partie des CDD du planning. Des gens qui tourneraient dans de meilleures conditions, pas au-delà de certaines régions, par exemple ». La direction n’a pas donné suite, et force est de constater que ce n’est pas la priorité des syndicats.

Mais, aujourd’hui, la perspective d’une réforme de l’audiovisuel public n’augure rien de bon, avec ses obligations d’économies, à hauteur de 20 millions d’euros pour Radio France, dont 5 millions pour l’année 2019. « On est dans une période où l’on nous demande de réduire la masse salariale, précise Lionel Thompson_, on supprime donc des CDI, mais comme les objectifs en termes d’emplois sont irréalistes, surtout au vu du développement demandé sur le numérique et certains autres secteurs, c’est le nombre de CDD qui va augmenter. »_

(*) Les prénoms ont été changés pour des raisons de confidentialité.

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