Gilets jaunes : une forte demande de démocratie

Les gilets jaunes n’exigent pas seulement d’être écoutés, ils demandent d’avoir voix au chapitre, bousculant la Ve République.

Michel Soudais  • 19 décembre 2018 abonné·es
Gilets jaunes : une forte demande de démocratie
© photo : KARINE PIERRE / HANS LUCAS

La crise sociale, dont le mouvement des gilets jaunes a été le révélateur, a viré à la crise de régime. L’incapacité du pouvoir à répondre rapidement et positivement aux revendications premières posées par les rassemblements aux ronds-points n’a pas peu contribué à élargir la contestation pour la porter sur le terrain politique. De manière symptomatique, c’est à l’Élysée que voulaient se rendre les gilets jaunes dès le 17 novembre. C’est ensuite sur les Champs-Élysées, jugés plus proches de la source du pouvoir politique, et non sur le Champ-de-Mars, où le gouvernement voulait les voir se rassembler, qu’ils ont tenu à manifester. Et hors de tout cadre contraint. Dans une confrontation directe avec le président de la République, seule autorité dont ils attendaient une réponse, tout en réclamant à cor et à cri sa démission.

La contestation fiscale des taxes, de leur caractère inégalitaire et de leur bien-fondé, a vite conduit les gilets jaunes à questionner le fonctionnement de notre démocratie, ses modes de représentation et de décision. Avec le raisonnement suivant : si nous subissons cette injustice, c’est parce que la démocratie ne fonctionne pas, que le gouvernement est trop coupé du peuple. On les a ainsi vus réclamer la proportionnelle pour une meilleure représentation de la diversité des opinions, un rabotage des salaires et « privilèges » des élus, la « suppression du Sénat » et la mise en place d’une assemblée citoyenne, pour s’en tenir aux revendications les plus souvent entendues.

Cette remise en cause des institutions inquiète les partis installés. Jusqu’à Marine Le Pen. Dans une « lettre ouverte aux Français » diffusée le 7 décembre, la présidente du Rassemblement (ex-Front) national s’est élevée contre ceux qui pourraient s’y « laisser tenter ». « Si le droit de critiquer nos institutions relève de la démocratie, la remise en cause de nos institutions y compris avec une prétendue VIe République me paraît totalement malvenue », écrit-elle. « La France ne souffre pas de l’institution présidentielle. Elle pâtit du défaut d’incarnation de la fonction par un homme dénué d’empathie pour le peuple », poursuit-elle en insistant sur l’attachement de son parti « au régime politique, dont le général de Gaulle nous a fait les héritiers ».

La demande de démocratie des gilets jaunes s’est toutefois cristallisée dans la revendication d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) qui serait à la fois législatif, abrogatoire, révocatoire et constituant. Avec ce « RIC », brandi sur des pancartes par des manifestants, il s’agit de modifier l’article 3 de la Constitution – « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum… » – pour « donner au peuple le droit de rédiger ou d’abroger une loi ou un traité sur le sujet qu’il choisit », de révoquer des élus et même le Président, voire de demander une modification de la Constitution. Et ainsi « rendre au peuple son rôle souverain ». « Une perspective très importante et essentielle pour le mouvement », insiste le gilet jaune Jean-François Barnaba.

Alors qu’Emmanuel Macron avait superbement ignoré ces demandes institutionnelles, se contentant d’ouvrir la porte à une prise en compte du vote blanc, Édouard Philippe, interrogé dans Les Échos (17 décembre), accepte que le RIC soit débattu dans le cadre de la grande consultation nationale ouverte par l’exécutif : « Je ne vois pas comment on peut être contre son principe. Le référendum peut être un bon instrument dans une démocratie, mais pas sur n’importe quel sujet ni dans n’importe quelles conditions. » Cette approbation sous condition peut surprendre quand on se souvient qu’en juillet, lors du début de l’examen du projet de révision constitutionnelle, le gouvernement s’était opposé aux amendements de groupes d’opposition permettant un référendum d’initiative populaire. C’est que le RIC, qui vise à contourner les représentants du peuple que sont les parlementaires, n’est pas incompatible avec le césarisme de la Ve République.

Sans ses volets révocatoire – y compris pour le mandat présidentiel – et constituant, défendus par les insoumis, qui ont déposé une proposition de loi en ce sens, mais dont ne veulent ni les marcheurs ni les lepénistes, partisans d’une réduction drastique du nombre de députés et de sénateurs, le RIC n’aurait qu’une dimension antiparlementaire.

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