« Qui a tué Lady Winsley ? », de Hiner Saleem : l’île mystérieuse

Avec Qui a tué Lady Winsley ?, Hiner Saleem met en scène un polar en Turquie non dénué d’ironie, rendant hommage aux classiques américains tout en évoquant la question kurde.

Christophe Kantcheff  • 18 décembre 2018 abonné·es
« Qui a tué Lady Winsley ? », de Hiner Saleem : l’île mystérieuse
© photo : La Saleem’s touch : l’accentnde comédie. crédit : Memento films

Premier plan, superbe, sur une mer gris ardoise, avec tout au fond une ville moderne qui s’étend. Un homme entre dans l’image habillé d’un imperméable mastic au col remonté, l’air impénétrable : c’est l’inspecteur Fergan (Mehmet Kurtulus).

Nous voilà d’emblée installés dans un polar. Mais pas seulement : ce flic d’Istanbul (la grande ville qu’on aperçoit au loin) a été appelé sur l’île de Büyükada pour résoudre l’énigme du meurtre de Lady Winsley. Quand il y fait ses premiers pas, on nous montre une rangée d’hommes qui boivent leur café dans un mouvement d’ensemble, façon automates, puis des agents du commissariat faisant de même. C’est la Saleem’s touch : l’accent de comédie, non dénué d’ironie, du cinéaste.

On avait laissé Hiner Saleem, il y a cinq ans, sur un air de western. C’était le plaisant My Sweet Pepper Land. Le voici de retour avec son dixième long métrage, contant une histoire criminelle : une pleine réussite.

Lady Winsley, assassinée quelques jours plus tôt, était une romancière américaine à succès venue passer l’hiver dans sa maison de Büyükada. Belle femme mystérieuse, elle ne laissait personne indifférent sur l’île, surtout les hommes… L’enquête engagée par Fergan avec l’appui du commissaire local (Ergün Kuyucu), sympathique mais moins brillant, met en cause un homme dont l’ADN est proche de celui qui a été détecté dans une goutte de sang retrouvée sur la victime. Il serait le suspect idéal si son ADN était exactement le même, parce qu’il semble avoir été l’un des amants de la romancière. Tous les membres de sa famille, dès lors, passent le test. Scène drolatique parce que ça fait du monde. Sur une île, on le sait, les liens de cousinage sont nombreux…

Le cinéaste joue avec facétie de ces données insulaires, avec des habitants repliés sur eux-mêmes et leurs secrets. Les rues de l’île, où s’alignent des maisons cosy, accentuent ce côté hors du temps. Comme très souvent chez Hiner Saleem, les femmes sont les personnages les plus ouverts et les plus évolués. C’est le cas d’Azra (Ezgi Mola), la jeune et jolie tenancière de l’hôtel où loge Fergan. Une idylle naît.

Quand Azra et Fergan s’embrassent pour la première fois, ils sont sur un balcon, mais la caméra les filme de l’intérieur, derrière un rideau. Cette pudeur, qui n’exclut pas l’érotisme, renvoie au cinéma classique américain, dont tout le film est pénétré. L’hommage est évident, mais on pense aussi à la manière dont Jean Echenoz, en littérature, a pu déplacer les codes du genre pour faire jaillir des émotions particulières sur le mode de la légèreté – voir ici la façon dont la photo de Clark Gable est détournée, l’acteur étant transformé en patriarche turc.

De la même manière, la question kurde s’immisce dans l’enquête de Fergan. Celui-ci découvre son appartenance à ce peuple, dont l’État turc a gommé la mémoire et l’histoire. Hiner Saleem signe avec Qui a tué Lady Winsley ? un film d’une grande intelligence, où la sensibilité s’allie à la comédie et aux blessures politiques.

Qui a tué Lady Winsley ? Hiner Saleem, 1 h 30. En salles le 2 janvier.

Cinéma
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