Zao Wou-Ki, le peintre qui voyait grand

Plus que quelques semaines pour voir le travail de cet artiste majeur, chantre de l’abstraction monumentale, trop méconnu du grand public.

Jean-Claude Renard  • 11 décembre 2018 abonné·es
Zao Wou-Ki, le peintre qui voyait grand
© photo : Zao Wou-Ki/sans titre/03 dec 1974/ADAGP/Paris/2018

L ’espace est silence. » Le titre de cette exposition est emprunté à Henri Michaux. De fait, chez Zao Wou-Ki, tout est affaire d’espace. Avec l’impression de pouvoir se plonger dans ses toiles tant elles sont vastes, de se confronter à une histoire d’échelle, d’adapter son point de vue sur un univers macroscopique ou bien microscopique. Un univers qui est celui du paysage, « une nature », selon son expression, qui force le regard, invite à aller toujours plus loin dans le détail, d’autant que le détail est ciselé, minutieusement travaillé. C’est à la couleur de créer l’unité, dans un espace où la lecture ne se fait plus dans le contour des objets mais par l’enchevêtrement des couleurs. À chacun de tenter d’y retrouver des formes dans ce qui reste au bord du visible, du côté de l’abstraction.

Étirée sur quatre salles, cette exposition au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (la première depuis quinze ans) rassemble des peintures et encres sur papier de grands formats de l’artiste peintre (1920-2013), des années 1950 jusqu’aux premières années du XXIe siècle. Des œuvres immenses (certaines de deux mètres sur cinq environ), dont les titres (ce qui est assez rare chez lui, qui préfère n’ajouter qu’une date pour ne pas limiter son imagination) disent les influences et les amitiés : « Hommage à Malraux », « Hommage à Varèse », « Hommage à Michaux », ou encore à « Henri Matisse, le vent pousse la mer », à Claude Monet, à sa femme, Françoise Marquet, longtemps conservatrice. À chaque toile, son esthétique sensible, exacerbée, livrant un ensemble qui unit la conception séculaire de l’art oriental et les libertés d’une peinture européenne, une œuvre faite d’éclats colorés, de fulgurances lumineuses et d’espaces d’ombres, de reflets d’eau et d’impressions de nuages, de quelques vibrations, de bruissements dans les airs, de masses subtiles, de turbulences infimes…

On n’aimerait bien ne plus avoir à présenter Zao Wou-Ki, peintre majeur du XXe siècle (l’un des plus cotés à la fin de sa vie), et pourtant encore méconnu du grand public. Né en Chine, il débarque à Paris le 1er avril 1948, peu avant la révolution, avec le tracé, l’écriture et la calligraphie chinoises en guise de bagage. Sa première journée parisienne se passe au Louvre, marquée par l’œuvre de Cimabue. Plus tard, il découvre Vermeer, Le Tintoret, Vélasquez, fréquente Giacometti, Vieira da Silva, Soulages, Riopelle. Surtout, il rencontre Henri Michaux, qui l’encourage dans son travail. Et c’est seulement dans les années 1960 qu’il trouve sa voie, aux confins des influences, s’éloignant du sujet pour se concentrer sur l’espace et la lumière. Jusqu’à ce que le tableau apparaisse, frémissant. Certains atteindront les dix mètres sur quatre, le peintre se déplaçant alors à bicyclette dans son atelier ! « Les grands formats ont l’avantage d’avoir beaucoup plus de problèmes à résoudre, confiait-il. C’est une question de tempérament. » Comme son goût pour l’improvisation sur la toile, s’achevant entre le merveilleux et la féerie.

Zao Wou-Ki, L’espace est silence, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Paris XVIe, jusqu’au 6 janvier.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes