La réalité dépasse l’affliction

En 2019, j’envisage d’écrire un œuvre fondée sur une idée neuve et originale : l’un des personnages pourrait être un prosateur imbuvable, genre un mec homophobe, islamophobe et sexiste au dernier degré.

Sébastien Fontenelle  • 8 janvier 2019 abonné·es
La réalité dépasse l’affliction
© photo : EDUARDO MUNOZ ALVAREZ / AFP

Pour la nouvelle année – que je te souhaite, au passage, follement heureuse (1) –, j’ai pris, comme tout le monde, quelques bonnes résolutions. Tamment : je me suis dit que j’allais peut-être me lancer dans l’écriture d’une œuvre de fiction (disons une œuf, pour aller plus vite) – mais à clés, tu vois ?

J’ai d’abord pensé – je suis à peu près certain que personne avant moi n’avait eu une idée aussi neuve et originale – que l’un de ses personnages pourrait être un prosateur imbuvable, genre un mec homophobe, islamophobe et sexiste au dernier degré : odieux, quoi. Mais la presse, pâmée par tant de hardiesse, l’aurait adulé.

Il aurait pu, par exemple, déclarer : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré (2). » Puis il aurait ajouté, dans une interview à un journal réactionnaire (qui aurait pu s’appeler Le Figaro) : « La lecture du Coran est une chose dégoûtante. Dès que l’islam naît, il se signale par sa volonté de soumettre le monde. Sa nature, c’est de soumettre. C’est une religion belliqueuse, intolérante, qui rend les gens malheureux (3). » Puis encore, mais dans un plus petit comité : « Je vais donner une interview où j’appellerai à une guerre civile pour éliminer l’islam de France ! Je vais appeler à voter pour Marine Le Pen (4) ! » Et la presse de référence (que j’aurais appelée Le Monde) se serait extasiée : quel courage ! Enfin, quelqu’un ose « sublimer notre vulgarité » et « envisager de front les vraies questions qui se posent à notre société », en posant dans la littérature « des questions que beaucoup refusent absolument de voir par culpabilité postcoloniale (5) » !

Puis encore, mon écrivain imaginaire aurait mis dans ses livres des « putes ordinaires » et des « lopettes », et la presse (dite) progressiste (du nom de Libération) aurait encensé son personnage, teeeeellement « émouvant », de « mâle occidental homophobe ».

Puis enfin, par-dessus tout ça, dans une espèce d’hommage ultime à sa méchanceté et à la laideur des temps, ce triste sire aurait été fait chevalier de la Légion d’honneur par un président de la République française (au hasard : Emmanuel Macron).

Et, franchement, j’étais plutôt content de mon idée d’œuf. Queee deee créativité. J’avais même trouvé un nom pour mon personnage – tout à fait improbable, mais qui me semblait lui aller bien : Michel Houellebeurk.

Puis j’ai réalisé que je me fourvoyais et que jamais personne ne prendrait au sérieux un récit aussi grossièrement caricatural de ce que notre époque charrie de plus nauséeux : quand la fiction dépasse trop la réalité, elle perd vraiment toute crédibilité.

(1) Et libérée, en politique, des confusions – on y reviendra – où de grands morceaux de la « gauche » se sont perdus en 2018…

(2) Michel Houellebecq, Lire, 2001.

(3) Michel Houellebecq, Le Figaro, 2001.

(4) Propos tenus en 2013 par Michel Houellebecq, selon l’écrivain écossais Gavin Bowd, qui les mentionne dans son autobiographie parue en 2016.

(5) « Houellebecq sublime notre vulgarité », par Catherine Millet, Le Monde, 3 janvier 2019.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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