Permis de mutiler

Castaner sait fort bien que ses troupes policière font « un usage excessif de la force ».

Sébastien Fontenelle  • 16 janvier 2019 abonné·es
Permis de mutiler
© photo : MARIE MAGNIN / HANS LUCAS

Vendredi dernier, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron, a très sérieusement déclaré que « ceux » qui appelaient à manifester le lendemain pour l’« acte 9 » (1) du mouvement des gilets jaunes « sav(ai)ent qu’il y aura(it) de la violence » lors de cette nouvelle journée de mobilisation, et que « donc » ils auraient « leur part de responsabilité » dans cette violence.

Puis de préciser : « Que les choses soient claires. Au début, on pouvait dire : “Oui, mais y a des gens qui sont venus dans le groupe et qui ont cassé, c’est pas nous, on porte pas ça.” Demain, je le dis : ceux qui viennent manifester dans des villes où y a de la casse qui est annoncée savent qu’ils seront complices de ces manifestations-là. »

Ce qu’oyant, j’ai d’abord trouvé ce propos spécialement stupéfiant, car il est après tout assez rare, même dans une époque où il a déjà subi (2) tant et tant d’atteintes, qu’une si haute éminence gouvernementale exprime si distinctement, et par le moyen d’une si grossière filouterie, le mépris où elle tient le droit (et tout itou la liberté) de manifester. Mais ensuite (3) j’ai pensé qu’il se pouvait aussi que cette déclaration de Christophe Castaner soit plutôt le pudique aveu, détourné, que lui-même est rongé par la compréhensible culpabilité de ce à quoi il participe très directement ces jours-ci.

En effet, il sait fort bien que ses troupes gendarmesques et policières font, depuis des semaines, contre des manifestant·e·s dont l’intention première n’est bien sûr pas de perpétrer une quelconque « violence » (mais d’exprimer dans la rue qu’ils ne tolèrent plus celle, principalement sociale et tout aussi bien verbale, que leur infligent régulièrement M. Macron et ses ministres), ce qu’Amnesty International appelle (très) sobrement un « usage excessif de la force » et d’armes d’une épouvantable dangerosité, comme les immondes grenades GLI-F4, que la France (des Lumières) est « seule en Europe à utiliser pour le maintien de l’ordre (4) », et qui font toutes les semaines des blessé·e·s graves.

D’où découle, si l’on suit le même raisonnement qui lui a fait faire sa stupéfiante déclaration de vendredi dernier, qu’au début Christophe Castaner pouvait dire : oui-mais-je-savais-pas-que-mes-fonctionnaires-allaient-infliger-à-des-manifestant·e·s-d’abominables-mutilations. Mais que, désormais, il est, par son refus, notamment, d’interdire l’utilisation de ces projectiles, sciemment complice, à tout le moins, de la sanglante répression de manifestations démocratiques.

(1) Compte pas sur moi pour l’écrire en chiffres romains : quand arrivera l’acte 67, ça sera intenable.

(2) Sous le règne, d’abord – et il convient surtout de ne jamais oublier que c’est là, et parmi tant d’autres, un legs des « socialistes » –, de MM. Hollande et Valls.

(3) Et après avoir brièvement considéré qu’il serait piquant et peut-être même assez rigolo qu’après cela quelques galopin·e·s décoré·e·s d’autocollants macronistes aillent fissurer quelques vitrines dans le sillage de la « marche républicaine » de soutien à l’exécutif qui doit se tenir à Paris le 27 janvier prochain, et dans laquelle Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation d’Emmanuel Macron, a prévenu qu’il défilerait.

(4) Le Journal du dimanche, 13 janvier.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes