Italie, pays ouvert…

Nanni Moretti a réalisé un documentaire, Santiago, Italia, pour raconter comment son pays a sauvé des militants chiliens dans les années 1970.

Christophe Kantcheff  • 26 février 2019 abonné·es
Italie, pays ouvert…
© photo : Un aller-retour entre images d’archives (ici la dernière apparition de Salvador Allende) et témoignages. crédit : luis orlando lagos/Le Pacte

Au moment de la sortie de Mia madre, il y a trois ans, Nanni Moretti déclarait : « Je n’ai rien d’intéressant à dire sur l’Italie. » Dépité, il ajoutait auprès du journaliste du Monde qui l’interviewait : « Je ne veux pas être un pessimiste définitif. Mais je ne sais pas si mes concitoyens sont vraiment meilleurs que ceux qui les représentent. » Depuis l’arrivée au pouvoir de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles, le moral du cinéaste n’a pas dû s’améliorer.

Ce nouveau film – un documentaire – répond à la nécessité de respirer, de s’administrer une bouffée d’oxygène. Santiago, Italia raconte en effet une belle histoire italienne. Une histoire humaniste. Étonnant, non ? Elle se déroule pourtant au cours d’une période sombre, sur le continent sud-américain : au Chili, en 1973, au lendemain du coup d’État du général Pinochet.

Reprenons au point de départ du film : les jours heureux de la présidence Allende. Nanni Moretti ravive cette époque avec un dispositif simple, qui sera le même jusqu’au bout : des images d’archives et des témoignages d’acteurs de cette période. De toutes conditions sociales : des confrères réalisateurs (Patricio Guzmán, Miguel Littín…), des artisans, des traducteurs, des ouvriers, des journalistes, un médecin… Tous, engagés à gauche, ont vécu dans leur chair la joie des années Allende et la répression féroce qui a suivi.

Santiago, Italia n’est pas sans points communs avec le documentaire d’Almudena Carracedo et Robert Bahar, Le Silence des autres_, sorti il y a peu (1), sur les victimes du franquisme. Semblable souci didactique (que connaissent les nouvelles générations du Chili ?) – même si Moretti est plus cursif dans sa narration ; et des paroles de l’intérieur où l’émotion affleure. Mais ce qui est dévoilé ici est très différent, c’est un fait que le cinéaste lui-même ignorait : au cœur de Santiago en proie à la terreur de la junte, l’ambassade d’Italie a constitué, beaucoup plus longtemps que les autres ambassades européennes, une issue.

Sans rien d’officiel, les deux jeunes diplomates en poste (présents également dans le film) hébergent et exfiltrent les militants chiliens. Ceux-ci racontent aujourd’hui comment ils ont escaladé le mur de l’ambassade, parfois avec des enfants ; la cohabitation de tout ce monde dans l’enceinte de l’ambassade – la vie y reprenait ses droits, quand se retrouvaient notamment dans un petit périmètre des jeunes femmes et des jeunes hommes ; et comment ils ont rejoint l’Italie, un pays dont ils ne connaissaient rien.

Comme le souligne un des témoins, l’Italie des années 1970 ne se résume pas à ce qu’on a appelé les années de plomb. C’est un pays accueillant que les exilés découvrent, où ils peuvent entamer une seconde vie. Les témoignages sont unanimes. « Le Chili a été un père méchant pour moi, l’Italie une mère généreuse », dit une femme artisan. Certains remarquent que les ­Italiens de 50 ans avaient pu être des partisans trente ans plus tôt : une forme de solidarité des luttes se manifestait. Ceux qui, pour beaucoup, sont restés ont en eux une double identité mêlée, inséparable et tranquille.

Mais l’Italie a changé. Elle « ressemble toujours plus aux pires choses du Chili », dit un entrepreneur, qui précise : « Ce truc de se mettre dans cette terrible société de consommation où tu te fous de la personne qui est à côté de toi, si tu peux la piétiner tu la piétines. C’est ça la course à l’individualisme. » Le film s’achève ainsi. Le moral de Nanni Moretti reste en berne.

(1) Voir Politis n° 1540, du 14 février.

Santiago, Italia, Nanni Moretti, 1 h 20.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes