Scop-modèles

Malgré la grande diversité de leurs formes et de leurs acteurs, les coopératives incarnent une alternative crédible au capitalisme.

François Longérinas  • 14 février 2019 abonné·es
Scop-modèles
© crédit photo : MEHDI FEDOUACH/AFP

Les Scop, sociétés coopératives et participatives, ont le vent en poupe. Elles ont connu un fort développement ces cinq dernières années, avec une progression de 19 % de leur nombre, pour atteindre près de 3 200 entreprises employant à ce jour plus de 57 000 personnes.

Si les entreprises coopératives jouissent d’une bonne image dans la société, la sphère macronienne a tenté par deux fois, lors du débat sur la Loi de finances 2019, de s’attaquer à elles. D’abord aux Scic (1), auxquelles un député LREM a tenté de supprimer la défiscalisation des « réserves impartageables ». Puis aux Scop, auxquelles l’Assemblée nationale a cherché à retirer la « provision pour investissement » non fiscalisée. Ces attaques, même si elles sont restées sans suite, montrent à quel point les néolibéraux méconnaissent ou refusent le monde des coopératives, au nom de la fameuse « concurrence libre et non faussée » et de la « simplification administrative ». Reculant in extremis, le gouvernement s’est défendu d’avoir initié ces mesures anti-Scop, mais il n’y a pas de fumée sans feu !

Les coopératives de travail œuvrent, par leur mode de fonctionnement quotidien, à une autre manière de penser l’entreprise, de la finalité de la production à l’organisation interne, qui donne à chaque salarié une responsabilité dans les décisions. Sans oublier que leur lucrativité est statutairement limitée : la majeure partie, voire la totalité, des bénéfices est versée aux fonds de réserve de la Scop et non aux sociétaires, porteurs de parts sociales du capital.

Les Scop permettent les expérimentations les plus hardies en termes d’organisation, du pouvoir pyramidal orchestré à l’horizontalité intégrale… même si elles sont amenées à évoluer dans le cadre du capitalisme financier et n’ont donc pas la main sur tout. Le modèle économique y est construit sur la base du projet coopératif, et non l’inverse. L’ambition des fondatrices et des fondateurs d’une Scop n’est pas d’abord de réaliser des profits, comme le veut la doctrine capitaliste, mais avant tout de définir un champ de production « exploitable » fondé sur des besoins de la société.

Lors de la dernière AG des Scop d’Île-de-France, en novembre 2018, j’ai demandé à trois trentenaires ce qui les avait conduits à créer leur entreprise dans le domaine du numérique sous forme coopérative. L’une m’a répondu qu’il s’agissait pour elle « d’un acte politique ». Un autre a jouté qu’il se sentait « l’égal de ses cofondateurs et [trouvait] donc naturel qu’ils partagent le pouvoir de décider ». Le troisième a conclu qu’il avait démarré son activité professionnelle en rejoignant une coopérative d’activité et d’emploi et qu’il avait ainsi appris à « travailler ensemble, préférant agir dans la coopération plutôt que dans la compétition ». C’est dans cet esprit que plus de 300 Scop ont vu le jour au cours de l’année 2017, les deux tiers étant des créations. Cette dynamique peut générer de l’espoir, même s’il faut rester modeste tant les chiffres représentent une toute petite part de l’activité économique.

Pendant plus d’un siècle, la transformation sociale a été pensée comme d’abord liée au rapport de force entre classes et à la prise de pouvoir de l’État par les acteurs politiques. Les alternatives concrètes que représentent les Scop sont des laboratoires incontournables d’un changement de paradigme. C’est pourquoi la réussite des reprises d’entreprises en Scop par leurs salariés, à l’image de Scop-Ti (ex-Fralib) et de Ceralep, est un enjeu fort de la période : ces expériences démontrent que, dans la résistance au pouvoir absolu des multinationales, il est possible de développer des alternatives ici et maintenant.

Deux nouvelles formes de coopératives se sont développées ces dernières années, répondant à de nouveaux besoins dans le monde du travail. Il y a tout d’abord les Scic, qui procèdent d’un partage du pouvoir entre salariés, usagers, clients et d’autres partenaires tels que les collectivités territoriales. Ensuite viennent les coopératives d’activité et d’emploi (CAE), qui permettent à des personnes de gérer leur propre activité professionnelle en mutualisant les tâches de gestion, évitant le recours à l’auto-entrepreneuriat ou au portage salarial. Ainsi, les Scop, même si tous leurs acteurs ne le conçoivent pas, anticipent une alternative au capitalisme en préfigurant une entreprise citoyenne autonome.

François Longérinas est directeur de l’École des métiers de l’information (EMI-CFD), coopérative de formation professionnelle aux métiers de l’information, de l’édition et de la communication.

Économie
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