Travailler dans une association est-il émancipateur ?

Des données chiffrées montrent une précarité accrue de l’emploi dans le secteur associatif.

Matthieu Hély  • 14 février 2019 abonné·es
Travailler dans une association est-il émancipateur ?
© photo : L’association Clinamen organise des transhumances en Seine-Saint-Denis. crédit : Denis Meyer/afp

Fondateur historique de la Revue des études coopératives (1) et professeur d’économie sociale au Collège de France sur une chaire financée par la Fédération nationale des coopératives de consommation, Charles Gide estimait, dans la première édition de son livre Économie sociale. Les institutions du Progrès social au début du XXe siècle (1905), que les institutions de l’économie sociale avaient pour objectif d’« abolir le salariat ».

Un siècle plus tard, qu’en est-il ? Les associations régies par la loi de 1901 concentrent près de 80 % de l’emploi dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire. En effet, le nombre de salariés employés par une association n’a cessé de croître depuis le début des années 1980, où on en dénombrait environ 600 000. Si les volontaires en service civique étaient comptabilisés dans l’emploi salarié, ce nombre serait aujourd’hui supérieur à deux millions de personnes. Soit désormais bien plus que le nombre d’agents publics employés par les collectivités territoriales, qui, du fait des mesures structurelles d’austérité budgétaire, a commencé à diminuer (2). Nous assistons ainsi depuis les années 1980 au développement d’un salariat hybride, qui met en œuvre les missions du public dans les conditions du privé, voire en deçà.

Les salariés associatifs, en effet, sont significativement plus exposés à la précarité de l’emploi : ce secteur compte deux fois plus de contrats à durée déterminée (CDD) que le secteur marchand. Les données de l’Atlas commenté de l’ESS 2017 (3) révèlent ainsi que, par rapport au secteur privé hors ESS, la part de l’emploi conforme à la norme du CDD/temps plein n’atteint pas les 60 % pour les sports et loisirs, les arts et spectacles et l’action sociale. En termes de contrat de travail, l’ESS se différencie du reste du secteur privé par 75 % de contrats à durée indéterminée (CDI), contre 85 % pour le secteur marchand.

Les auteurs de l’atlas ne livrent pas de données par statut de l’employeur, mais précisent que le taux de CDD est le plus élevé observé pour le monde associatif. Par ailleurs, la conformité des pratiques des employeurs en matière de respect des horaires et de temps de travail est parfois relative. En témoignent les sanctions infligées par l’inspection du travail en 2015 à la Croix-Rouge française pour plusieurs dérogations à la législation : 3 345 dépassements de la durée maximale quotidienne de travail (10 heures), 291 ­dépassements de la durée maximale hebdomadaire (48 heures), 58 dépassements de la durée maximale hebdomadaire sur 12 semaines (44 heures), 129 privations du repos quotidien maximal (11 heures) (4).

Enfin, du côté des employeurs, en particulier l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes), on relève, pour le moins, un éloignement des ambitions d’« abolition du salariat » : rappelons qu’à l’occasion de la contestation de la loi travail, au printemps 2016, l’Udes a apporté son soutien à la loi et a condamné les « troubles » occasionnés par les manifestations (5). À l’issue des ordonnances sociales présentées par le gouvernement Philippe le 31 août 2017, l’Udes a renouvelé son adhésion à des réformes pourtant fortement contestées par une partie des forces syndicales (6).

Pour que l’utopie du « travail autrement » ne soit pas uniquement un slogan que les institutions de l’ESS ressortent chaque mois de novembre à l’occasion du « Mois de l’ESS », ces institutions doivent enfin prendre au sérieux le travail qu’elles organisent et réfléchir à sa valorisation. Sous peine d’oublier leur histoire et de conforter les fondements de l’ordre économique néolibéral en matière de réforme de l’État, et de remettre en cause le compromis social établi à la Libération, dont le statut général de la fonction publique est une composante essentielle.

(1) Devenue Recma, Revue internationale de l’économie sociale.

(2) – 0,2 % en 2016, après une croissance d’1,6 % sur la période 2006-2016.

(3) Observatoire national de l’ESS, CN Cress

(4) « Splendeurs et misères du travail associatif », Matthieu Hély, Youphil.com, 2 juin 2015.

(5) Communiqué du 25 mai 2016, udes.fr

(6) Communiqué du 1er septembre 2017, udes.fr

Matthieu Hély est maître de conférences à l’université Paris-Nanterre.

Économie
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