Une colère mélancolique

Ironie acide, humour grinçant, regard désabusé sur le monde : Bruit noir ne change pas de ton.

Jacques Vincent  • 26 février 2019 abonné·es
Une colère mélancolique
© photo : Simon Gosselin

Émanation de Mendelson, Bruit Noir, duo composé de Pascal Bouaziz et de Jean-Michel Pirès, présente l’acte II de sa trilogie inaugurée en 2015. Lequel s’ouvre sur un exercice d’autodérision, les deux compères commentant la sortie de ce nouvel album, qui, selon eux, n’aura pas plus d’audience que le précédent : « un album pour que dalle ». Puis on les entend, dans la scène suivante, commenter ce commentaire. En langage savant, on appelle ça une mise en abyme. En termes plus imagés, on serait entre la poupée russe et la Vache qui rit.

S’ensuit une interpellation de la presse musicale, des radios, des festivals, aux abonnés absents, avant d’en arriver à cette affirmation : « Le monde serait meilleur si Pascal Bouaziz avait du succès. » L’affirmation est audacieuse, mais, ce qui est sûr, c’est que ce serait au moins un monde capable ­d’apprécier un auteur à sa juste valeur. Un homme dont les mots constituent la matière première de l’expression et qui, disque après disque, avec Mendelson, Bruit Noir ou en solo, construit une œuvre aussi cohérente que personnelle. Car, si on ne sait pas trop à quel degré prendre ce premier morceau, il faut reconnaître qu’une réelle injustice se cache derrière cette ironie amère.

Passé cette introduction, les choses reprennent si on peut dire leur cours normal. On y parle de Paris (« Paris, ville olympique de la connerie ») – sur un mode qui devrait venger Chartres et Le Mans, malmenés sur le premier acte de Bruit Noir –, de l’Europe (« Quand je vois le mot Europe, je vois ce qu’ils ont fait du pauvre parti Syriza ») et du monde en général, uniformisé par la mondialisation libérale (« Plus de mystère nulle part, tout est débroussaillé/Comme les poils des sexes, le monde entier est épilé »). « Des collabos », joyeusement scandé, vient dans la foulée rappeler opportunément que nous sommes tous un peu complices de cet état de fait, rien que par notre servitude volontaire à l’égard des multinationales. On y parle aussi une fois d’amour et l’on croise quelques personnages connus. Tous morts : Daniel Darc, Romy Schneider, Pasolini, « le plus mort d’entre tous ».

Celui qui parle, c’est bien sûr Pascal Bouaziz, sur son mode habituel de colère mélancolique, comme désolé d’avoir à exprimer cette réalité. Il se laisse parfois gagner par le vertige de son propre verbe alors que, derrière, la musique dessine au marteau et au fusain un décor de suie. On n’est pas obligé de partager tous ses points de vue. On peut avouer ne pas en être très éloigné les mauvais jours.

Évidemment, on voit mal dans tout cela ce qui pourrait constituer un ticket d’entrée pour la playlist de France Inter. En revanche, les amateurs plus aventureux d’œuvres fortes, ni débroussaillées ni épilées, y trouveront encore une fois un de ces objets singuliers qu’ils affectionnent d’autant plus qu’ils sont rares.

Bruit Noir II/III, Bruit noir, Ici, d’ailleurs.

Musique
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