Vers un renouvellement du mouvement altermondialiste

Il existe une interaction vertueuse entre l’économie sociale et solidaire et les forums sociaux mondiaux.

Gustave Massiah  • 14 février 2019 abonné·es
Vers un renouvellement du mouvement altermondialiste
© photo : Au Forum social mondial de Salvador de Bahia, au Brésil, le 15 mars 2018. crédit : LUCIO TAVORA/AFP

L’économie sociale et solidaire (ESS) a été un mouvement constitutif des Forums sociaux mondiaux (FSM). Elle l’a été dans les pratiques présentes dans les forums et dans les perspectives que ceux-ci ont ouvertes. En retour, les forums permettent à l’ESS de s’interroger sur ses évolutions et ses possibilités d’avenir. Les FSM sont un espace de convergence des mouvements, et l’ESS y participe en tant que mouvement social et citoyen. Dans cet espace de diversité, on voit se préciser ses facettes multiples.

Une discussion est récurrente : comment rendre les pratiques des forums compatibles avec les orientations affichées ? Comment accueillir, transporter, nourrir, loger, débattre, financer les activités et maîtriser le numérique en respectant au mieux les impératifs sociaux, écologiques, démocratiques et civiques que préconisent les mouvements constituant les forums ? Jusqu’où peut-on préfigurer une société meilleure dans une société qui n’est guère idéale ? Dans presque toutes ces questions, l’ESS est centrale.

Les références à l’ESS rappellent que cette économie « et ses formes diverses de par le monde représentent l’alternative au système économique capitaliste mondialisé. C’est une économie conçue par les citoyens et pour les citoyens, dont l’objectif est d’assurer démocratiquement un niveau de vie décent et la souveraineté alimentaire des peuples, tout en préservant les ressources naturelles actuellement détruites et gaspillées (1) ». Comment se fait-il alors que son rôle politique et idéologique soit aussi faible ?

Dans la période récente, malgré des réussites exemplaires, l’ESS a été récupérée par la financiarisation et entraînée dans la séquence « marchandisation, privatisation, financiarisation », comme on peut le constater avec certaines mutuelles. Elle a aussi été confrontée aux tenants d’une conception de la transition centrée sur la conquête de l’État, pour qui la propriété collective se confond avec la propriété privée, et qui ne considèrent que la « propriété du peuple tout entier » à ­travers celle de l’État. L’ESS relevait alors d’une économie de réparation, d’une compensation du capitalisme.

Le renouvellement de l’ESS s’inscrit dans une rupture : celle d’une transition écologique, sociale et démocratique qui a été explicitée par les mouvements sociaux et citoyens dans le processus des forums sociaux mondiaux. Cette rupture met en avant de nouvelles conceptions, de nouvelles manières de produire et de consommer. Elle s’appuie sur de nouvelles notions : les biens communs, la propriété sociale et collective, la lutte contre le patriarcat, le contrôle de la finance, la sortie du système de la dette, le buen vivir (« bien-vivre ») et la prospérité sans croissance, la réinvention de la démocratie, les responsabilités communes et différenciées, les services publics fondés sur les droits et la gratuité. Il s’agit de fonder l’organisation des sociétés et du monde sur l’accès aux droits pour tous et l’égalité des droits, éléments constitutifs de l’ESS et indispensables à son renouvellement.

L’ESS est confrontée à une nécessité, celle de définir une stratégie, d’articuler la réponse à l’urgence et la résistance au néolibéralisme avec la mise en avant d’une alternative : la transition écologique, sociale et démocratique. Elle peut valoriser les nouvelles formes portées par les mouvements ; à l’exemple de Via Campesina, qui a légitimé l’agriculture paysanne, la souveraineté alimentaire et l’agriculture écologique ; ou à l’instar des mouvements des logiciels libres et de l’encyclopédie Wikipedia. Cette stratégie nécessite de construire des alliances avec l’économie locale et les territoires, avec l’économie publique et les services publics, avec certaines plateformes du numérique et certains auto-entrepreneurs…

L’ESS peut contribuer ainsi au renouvellement du mouvement altermondialiste. Les forums sociaux sont la troisième phase de ce mouvement après les luttes contre l’ajustement structurel et la dette dans les années 1980, et celles contre la subordination du droit international au droit des affaires dans les années 1990. Une nouvelle phase est à inventer à partir de la dynamique des forums sociaux, qui suscite chaque année plusieurs dizaines de forums thématiques, nationaux, régionaux. Le Forum social mondial de convergence des économies transformatrices, qui aura lieu au printemps 2020 à Barcelone, organisé notamment par le Réseau intercontinental de promotion de l’économie sociale et solidaire (Ripess), pourra y contribuer.

Gustave Massiah est membre du conseil scientifique d’Attac-France et du conseil international du Forum social mondial.

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