Climat : « Nous sommes la dernière chance »

L’Affaire du siècle, un manifeste, un QG de la mobilisation : la riposte contre l’inaction climatique s’organise.

Ingrid Merckx  • 13 mars 2019 abonné·es
Climat : « Nous sommes la dernière chance »
© photo : Quatrième marche de la jeunesse en grève pour le climat. ncrédit : Benoit Durand/AFP

Bizi sort du rang « Il faut arrêter de faire des marches pour le climat ! » s’exclame Txetx Etcheverry, de l’association basque Bizi, à l’origine du mouvement Alternatiba. Il les juge inefficaces, car « on n’y nomme pas ce qu’il faut concrètement faire changer ». Le 16 mars, les militants de Bizi appellent donc à une mobilisation qui dépasse la dénonciation de l’inertie des autorités face au dérèglement climatique et intervienne sur des problématiques précises. Au Pays basque, les actions entreprises par les pouvoirs publics locaux n’enrayent qu’à la marge l’augmentation des gaz à effet de serre dus aux transports, qui restent le principal secteur d’émissions. « Les actes concrets sont à l’opposé des beaux discours », s’indigne le communiqué de l’association, faisant référence à l’accroissement de la capacité de l’aéroport de Biarritz ou à la pénalisation du transport ferroviaire dans la région. Même le tram’bus, dont les premiers trajets sont annoncés pour l’automne, n’est pas si vert que ça : trop peu de voies en site propre lui sont réservées, et une partie des fonds de l’opération a finalement été consacrée à la rénovation de voies urbaines ne laissant aucune place aux vélos. Militants écologistes et cheminots se rejoindront donc à Anglet pour interpeller le maire de la ville, Claude Olive, également président du Syndicat des mobilités Pays basque-Adour, et exiger « des changements immédiats et massifs ». Oriane Mollaret
L’urgence fait froid dans le dos : « Nous sommes la dernière génération… » déclare le « Manifeste pour une justice climatique », que publie l’association Notre affaire à tous (1). Mais la mobilisation réchauffe dans ce texte qui ne s’interdit ni le lyrisme ni l’espoir, dans les échanges intercollectifs et interassociatifs, dans des tiers lieux comme La Base, qui a ouvert le 8 mars à Paris et se veut le « QG de la mobilisation pour la justice climatique et sociale ». Huit organisations (Alternatiba Paris, Groupe action climat Paris, le Consulat, le Mouvement, Utopia, Nature Rights, Partager c’est sympa et Notre affaire à tous) ont lancé un financement participatif pour mener ensemble ce projet éphémère et payer le loyer de 200 000 euros que leur réclame un propriétaire privé pour 13 mois, avant la démolition de l’immeuble.

L’Affaire du siècle poursuit aussi son chemin : ce recours contre l’État de quatre ONG (Greenpeace France, la Fondation pour la nature et l’homme, Notre affaire à tous et Oxfam France) pour inaction climatique, qui a reçu plus de 2 millions de signatures de soutien, lance ce 14 mars la procédure juridique auprès du tribunal administratif de Paris. Suite de la procédure entamée en décembre avec une demande préalable. Si le ministre François de Rugy a décrété que les émissions de gaz à effet de serre ne baisseraient pas grâce aux tribunaux et que la France faisait de son mieux, c’est bien devant la justice que devrait se vérifier le respect des engagements hexagonaux.

Extrait du « Manifeste pour une justice climatique »

Il devient impossible de ne pas y penser. De ne pas savoir. La Terre nous chasse. Elle n’en peut plus. Notre présence est trop douloureuse. En un siècle d’accélération industrielle, nous avons capturé tant d’énergies, tant de ressources que nous avons changé l’équilibre de la planète à notre seul avantage. Alors elle s’échauffe, gronde, bascule dans l’inconnu, vers une autre version d’elle-même, un autre écosystème qui fait déjà trembler les fondements de notre monde. Que voulons-nous ? Impossible de ne pas lutter. Nous sommes prisonniers de nos espoirs. C’est notre force. Notre grandeur. Notre douleur aussi. L’histoire des hommes raconte la domination, l’oppression, mais surtout celles et ceux qui s’y sont opposés. Et la Terre était là, théâtre des passions humaines, tournant éternellement autour d’une étoile qu’on appelle Soleil, organisant nos jours et nos nuits, nos hivers et nos étés. Elle nous accueillait au début de la vie et nous aspirait en son sein à la fin. Au point que nous avons confondu l’humanité et la Terre. Elle nous repousse, pourtant. Elle est la matrice. Nous l’avons oubliée. Jamais nous n’avons songé à la protéger. Nous n’en sommes qu’une espèce. Nous n’en sommes peut-être qu’un moment. Alors, on fonce vers le vide ? On se consume ? Ou on se bat ? Écoutons encore. Elle monte, elle monte enfin dans les consciences, la Terre qui nous porte. Nous sommes des millions partout dans le monde à comprendre l’urgence, à entendre le compte à rebours sous nos pas et ceux de nos enfants. Une nouvelle génération est là, qui n’est pas définie par son âge, mais par sa façon de tout repenser. Une toile se tisse autour de la planète, c’est le réveil, c’est la vie, le pas déterminé de la jeunesse qui manifeste et crie son inquiétude face à l’avenir qui se ferme. C’est la plainte des agriculteurs contre ceux qui ont empoisonné leur terre et leur corps, la voix forte des tribus des dernières zones préservées qui se redressent, le jugement des tribunaux qui enfin condamnent et donnent des droits à la nature, les scientifiques qui alertent et proposent des pistes pour en sortir. Il est fini le temps où les défenseurs de la planète étaient caricaturés en agents du passé, ils sont ceux du futur. Nous sommes le futur. Nous sommes la dernière génération, la dernière chance donnée au monde. Ce combat-là n’annule aucun des autres, il les contient tous. Lutter contre l’asservissement de la Terre, c’est lutter contre ceux qui la dominent. Nous dominent. Reprenons à notre compte ce mot, progrès. C’est le rêve millénaire des hommes. Ils y ont cru religieusement, l’imaginant éternel. Mais il a été confisqué sur l’autel d’une spéculation qui laisse un monde épuisé, désolé, pillé, en guerre, sous antidépresseurs, somnifères et opiacés, dopé à la performance depuis ses sportifs jusqu’à ses traders, dominé par quelques fortunes indécentes. Et incarnons l’intérêt général puisque les gouvernements l’ont depuis longtemps oublié. Incriminons tous les complices du réchauffement climatique. Ne les laissons pas se draper dans la belle cause de l’environnement pour revoir l’emballage de leurs produits, s’offrir des effets de manche aux tribunes officielles, ou boucler leur budget d’une simple taxe verte. Ne leur laissons pas le temps qu’ils demandent. Nous ne l’avons plus. (…) Peur ? Oui, nous avons peur. Mais pas peur du déficit. Pas peur de l’étranger. Pas peur de la jeunesse. Pas peur des pauvres. Pas peur de la révolte. Toutes ces peurs avec lesquelles les gouvernements jouent à défaut d’avoir un projet de société à proposer, toutes ces peurs qui leur permettent d’opposer les gens les uns aux autres pour rester au centre du jeu, au bout de nos angoisses, de nos doigts au moment de lâcher le bulletin dans l’urne. Il faut en finir. Nous avons peur de leur inertie. De leur chantage. Rétrospectivement, de leur incapacité à réagir quand il était encore temps. Peur, oui. Assez ! Assez de leurs litanies de la croissance. Nos emplois, disent-ils. Jamais ils ne parlent de nos vies. Posons les yeux là où l’industrie a creusé, puis s’en est allée, laissant rouille et chômage derrière elle. Il y en a beaucoup, des lieux comme ça. Ils ne mentent pas. Que voit-on ? Des sols pleins de métaux lourds. Des familles ouvrières plus frappées par le cancer que les autres catégories de population. Et moins bien soignées. Les hommes et la Terre subissent le même sort : ils crèvent à petit feu. Pourtant, les hommes pleurent l’usine qui dessinait leur horizon et assurait quelque chose à la fin du mois. Elle est partie en trouver d’autres moins chers au bout du monde, qui sont pris au même piège qu’eux. (…) La symétrie des inégalités est parlante. Aux plus fragiles, les chocs économiques. À eux aussi, les premières vagues du choc climatique pourtant largement créé par les plus riches. À l’échelle mondiale, les hauts revenus polluent 2 000 fois plus que les pauvres. En France c’est 40 fois plus. 50 % des plus pauvres émettent 10 % des gaz à effet de serre. L’humanité a tant voulu modeler la planète à sa guise, qu’elle l’a contaminée de sa folie inégalitaire. Voilà pourquoi les plus nantis ne réagissent pas. Ils pensent pouvoir s’extraire des tempêtes, ils ont les moyens de la fuite. (…) Mais l’humanité a toujours tenu tête à la tyrannie. Elle s’est battue pour ses droits sociaux, quand l’usine ne réclamait que des esclaves, elle a écrit noir sur blanc les droits universels sur les cendres encore chaudes des guerres, elle est constamment agitée d’une pensée émancipatrice et elle a prouvé l’extraordinaire capacité de survie des peuples indigènes massacrés au fil des siècles. La défense de l’environnement s’inscrit dans le droit fil de ces combats. C’est un acte de survie et de solidarité. Poser la question climatique, c’est tendre vers l’égalité, exiger la redistribution des richesses, c’est reprendre les luttes menées depuis toujours et les amplifier. En sachant que c’est la dernière fois. Car si nous perdons la Terre, nous perdons tout.

(1) Réalisé par Notre affaire à tous, Comment nous allons sauver le monde. Manifeste pour une justice climatique (Massot éditions) est vendu en librairie et chez les marchands de journaux (3,90 euros).

Écologie
Temps de lecture : 7 minutes