Désobéir, l’ultime recours

Au-delà des actions souvent très visuelles de la vague actuelle de désobéissance civile, se pose en filigrane la question du rôle du citoyen en démocratie.

Vanina Delmas  • 17 avril 2019 abonné·es
Désobéir, l’ultime recours
© CRÉDIT PHOTO : Denis Meyer/AFP

Des centaines de drapeaux ornés d’un sablier noir dans un cercle flottaient dans le ciel de Londres, lundi 15 avril, pour demander « un état d’urgence écologique ». Le mouvement Extinction Rebellion a officiellement lancé la « semaine internationale de rébellion » en bloquant cinq lieux emblématiques de la capitale anglaise : Marble Arch, Oxford Circus, Waterloo Bridge, Parliament Square et Piccadilly Circus. D’autres activistes ont pris pour cible le siège de l’entreprise pétrolière Shell en taguant sur la façade « Shell knows » (1) et l’accusant ainsi d’écocide.

À lire aussi >> « Avant j’étais une écolo tranquille, aujourd’hui je flippe »

Plus de 80 villes dans 33 pays, dont l’Australie, le Canada, la Belgique, l’Allemagne ou la Turquie ont entendu cet appel à la mobilisation internationale. À Paris, 1,5 tonne de vêtements non réutilisables ont été déversés devant le magasin H&M, boulevard Haussmann, pour dénoncer l’industrie du textile, deuxième industrie la plus polluante du monde. Mais le grand rendez-vous est donné le 19 avril, en Île-de-France, pour l’opération « Bloquons la République des pollueurs », qui accusera frontalement le gouvernement français de collusion avec les multinationales les plus polluantes.

Si la vague actuelle de désobéissance civile se focalise sur l’urgence écologique (lire page 7), cette forme d’action non-violente a d’abord été théorisée au XIXe siècle par Henry David Thoreau, refusant de payer un impôt à l’État américain pour protester contre l’esclavage, puis utilisée et diffusée au XXe : le mouvement des droits civiques pour les Afro-Américains, la philosophie de Gandhi, ou encore les militants pour le droit de vote des femmes ou le droit à l’avortement.

À lire aussi >> Désobéissance civile : « Des actions non-violentes mais spectaculaires »

La fin des années 1990, le tournant néolibéral et la naissance de l’altermondialisme ont donné un nouveau souffle à ce mode d’action. La crise financière de 2008 a renforcé le sentiment d’injustice des citoyens et l’envie d’agir. Citons pêle-mêle les Faucheurs volontaires d’OGM, les Déboulonneurs s’attaquant à la publicité, les citoyens s’opposant aux expulsions de migrants comme RESF (2), les mouvements d’occupation d’espaces (Occupy Wall Street, Notre-Dame-des-Landes…). En France, des professionnels sont entrés en résistance pour défendre les services publics : des enseignants, des psychiatres, des agents d’EDF rétablissant le courant dans certains foyers… Les nouveaux désobéissants se nourrissent de ce riche passé pour se réinventer.

Au-delà des actions souvent très visuelles, se pose en filigrane la question du rôle du citoyen en démocratie. « La désobéissance civile est le recours, interne à la démocratie, de ceux qui se sentent dépossédés d’une voix dans leur histoire […] parce que la société ne fournit pas le contexte dans lequel leurs mots auraient un sens, ou dans lequel en tout cas on pourrait les signifier, les vouloir-dire réellement », analysent Albert Ogien et Sandra Laugier dans leur ouvrage Pourquoi désobéir en démocratie ? (3). La radicalisation redoutée par certains ne s’incarne pas forcément dans le recours à la violence mais plutôt dans le degré d’engagement, beaucoup étant prêts à faire de la garde à vue, voire de la prison, pour défendre leurs idées. Extinction Rebellion attend de pied ferme qu’une de leurs actions les conduisent au tribunal pour mettre encore plus les gouvernements face à leurs responsabilités.


(1) Shell est au courant.

(2) Réseau éducation sans frontières.

(3) Éd. La Découverte, 2010.

Temps de lecture : 3 minutes