L’agriculture paysanne peut-elle nourrir la planète ?

L’association Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF) intervient auprès des collégiens lyonnais pour les sensibiliser aux grands enjeux environnementaux. Loin des concepts abstraits et des expertises scientifiques, les adolescents font preuve d’une conscience écologique déjà bien marquée. Reportage.

Oriane Mollaret  • 10 avril 2019
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L’agriculture paysanne peut-elle nourrir la planète ?
©photo : Les collégiens en pleine réflexion. Crédit : Siméon Baldit de Barral, On the green road

Ce lundi, pas de textes à trous sur les règles de bonne conduite à remplir ni de schémas sur le fonctionnement du Parlement français à colorier pour les élèves de quatrième du collège Georges-Clemenceau, à Lyon. À l’appel de la métropole, c’est l’association Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF) qui se charge de quelques-uns des cours d’éducation civique. Spécialisée depuis plus de quarante ans dans la défense de l’agriculture paysanne en France et ailleurs, AVSF intervient en général dans les écoles d’ingénieurs et de vétérinaires sur des thèmes bien précis liés au développement durable, à l’alimentation, à la santé animale…

Cette année, pour la première fois AVSF s’adresse à des adolescents. « Ce sont eux les consommateurs de demain, explique Katia Roesch, chargée de programme chez AVSF. Il faut sensibiliser les enfants pour qu’ils puissent transmettre aux parents. » Difficile de lui donner tort dans un contexte de mobilisations pour le climat menées par des jeunes âgés de seulement quelques mois de plus que ces collégiens.

Le deuxième des objectifs 2030 de l’ONUphoto : Les collégiens en photo : Les collégiens en pleine réflexion. Crédit : Siméon Baldit de Barral, On the green roadpleine réflexion. Crédit : Siméon Baldit de Barral, On the green road

Un à un, les adolescents entrent et se laissent tomber sur leurs chaises. Après quelques querelles de place, les bavardages se transforment en chuchotements et les collégiens se concentrent sur le chiffre affiché au tableau : 815 millions. « C’est le nombre de personnes qui souffrent de la faim aujourd’hui dans le monde », expose gravement l’intervenante d’AVSF, Lisa Cluzel, en distribuant les témoignages de personnes souffrant de la faim aux quatre coins de la planète. Maëva à Madagascar dont les plantations ont été ravagées par un cyclone, Sakun et sa famille au Cambodge expropriés par une usine Coca-Cola, ou encore Aïana et ses enfants réfugiés à cause de la guerre.

« Il y a eu un cyclone qui est passé sur Madagascar, du coup ils étaient vraiment en galère, raconte Mehdi avec de faux airs de présentateur télé. Puis il y a eu des criquets qui ont bouffé leurs plantations, du coup ça leur pose problème. Donc ils ont demandé de l’aide au gouvernement. Et ils ont faim en attendant. » « C’est quelque chose qui les intéresse beaucoup, développe Valérie, professeure d’histoire-géo et d’éducation civique. La grande majorité des élèves est d’origine africaine. L’an dernier, ils ont couru pour Action contre la faim, et un garçon qui venait du Togo m’a dit qu’il avait vu les interventions de cette association dans son village natal. Il m’a donc dit qu’il allait courir deux fois plus vite. »

Éliminer la faim dans le monde est justement le deuxième des objectifs 2030 de l’ONU, mais comment faire ? « Il faut des tracteurs ! » tente Kévin en se redressant sur sa chaise. « Le fait qu’ils utilisent des machines, ça va polluer… C’est mal, ça fait mal à la terre ! » explique gravement Mehdi. « L’agriculture paysanne est plus respectueuse de la terre parce qu’on ne met pas de pesticides, c’est bio », affirme Précieuse en rejetant en arrière ses tresses multicolores. « Mais avec des machines, ça fait plus de nourriture ! » s’entête Kévin.

Agir à son niveau

En fait, non. Comme l’explique Lisa Cluzel aux adolescents sceptiques, actuellement la nourriture est produite à 70 % par des paysans… sur un seul quart des terres agricoles. Les terres restantes étant aux mains des industriels et utilisées en grande partie pour produire des biocarburants. « Pourquoi ils continuent avec des machines alors ? s’indigne Giovanni en remontant ses lunettes sur son nez. C’est du gaspillage et ça enlève des emplois. Et il faut mettre moins de pesticides. » Quant à savoir comment reconnaître les produits sans pesticides, l’écolo en herbe sèche. « Vous avez déjà entendu parler du label bio ? » demande Lisa Cluzel. « Bien sûr, c’est comme Universal Studios, c’est une marque », explique Kévin, sûr de lui.

Entre l’agroécologie, la souveraineté alimentaire et l’agriculture raisonnée, les ados ont bien du mal à s’y retrouver. Mais le sort de la planète ne les laisse pas indifférents, alors quand se pose la question de savoir comment agir à son niveau, les suggestions pleuvent : « Manger moins de viande », « faire un jardin botanique », « acheter bio », « acheter des produits de saison »… « Alors, on est en avril, les légumes de saison c’est les navets, les radis… C’est nul ! » râle Mehdi en lançant un regard courroucé au calendrier des légumes de saison que distribue Lisa Cluzel. « Il faut acheter des produits de saison et moins d’aliments bizarres, là, déjà tout faits et avec des produits chimiques, résume Kévin en fronçant les sourcils. Et bien regarder l’étiquette ! »

Pour ces jeunes bien éloignés des courses et autres tâches domestiques, la solution paraît simple mais consommer des aliments de saison, bio, locaux et abordables tout en habitant en ville, est-ce possible ? « Il faut aller sur le marché, explique Mehdi. Il y a celui des États-Unis dans le 8e arrondissement, celui de Lyon 2e, celui des Minguettes… » Mais sur le marché, entre les producteurs se trouvent des revendeurs, qui achètent en gros et revendent aux clients pas assez vigilants les mêmes filets de légumes premier prix qui dépérissent au rayon frais des grandes surfaces.

Un monde sans déchet

« Comment reconnaître les paysans sur le marché ? » lance Lisa Cluzel. « Facile, ils ont un gros chapeau », répond le petit Daryl du tac au tac. Avec un sourire, Lisa Cluzel se lance dans la présentation des réseaux d’Amap – Association pour le maintien d’une agriculture paysanne – qui permettent aux producteurs de vendre directement aux consommateurs, sans intermédiaires. « C’est à partir de quel âge qu’on peut y aller ? » demande un garçon en sweat bleu, visiblement intéressé. Et Mehdi, bien renseigné, d’enchaîner sur les prix et les différentes formules d’abonnements des Amap.

Pour clore la séance, les adolescents sont invités à imaginer le monde de demain. Les idées fusent, très concrètes et parfaitement réalisables, voire déjà mises en place dans d’autres pays. Mehdi, Daryl et Jérémy ont opté pour le zéro-déchet. « Aujourd’hui il y a 1,3 milliard de tonnes de déchets », explique Mehdi à Daryl en détachant bien les syllabes. « Bah oui, moi le pain il est sec, je le jette », répond celui-ci en haussant les épaules. « Tu le réchauffes avec du fromage, ou tu fais du pain perdu, c’est trop bon », lui suggère Mehdi. Quelques minutes plus tard, les deux garçons sont tombés d’accord : dans leur monde idéal, ce sera deux poubelles de déchets par semaine maximum, sinon dix ans de prison et une amende. « Et si ça continue, prison à perpétuité », insiste Mehdi. Sans être si radicale, la ville de San Francisco, aux États-Unis, a déjà pour objectif de passer au zéro-déchet d’ici 2020, avec des mesures plus incitatives que coercitives pour encourager les habitants à réduire leurs déchets.

Le groupe d’à côté a l’air désespéré : ils ont choisi d’abolir l’élevage, mais ont du mal à dire au revoir à leurs tacos. « On a qu’à faire des tacos aux algues ? » suggère Gabriel avec circonspection. Derrière eux, un petit brun a déjà prévu un plan de carrière : « On a chacun notre morceau de terre et on se met tous ensemble pour faire plus de cultures. Moi, ça ne me déplairait pas. » La sonnerie coupe court aux vocations écolos naissantes et les adolescents se ruent dans la cour, non sans avoir au passage réclamé à leur professeure une visite du compost du collège.

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