Une histoire de sang

Tous, sauf moi, de Francesca Melandri, est un roman littérairement impressionnant où passé et présent s’entrechoquent sans jamais se perdre.

Christophe Kantcheff  • 9 avril 2019 abonné·es
Une histoire de sang
© crédit photo : MARCELLO MENCARINI / Leemage

Les pères réservent des surprises. Celui d’Ilaria plus particulièrement. Au présent du roman, entre 2008 et 2010, Attilio Profeti est un vieil homme de plus de 90 ans, et pourtant il n’a pas encore dit toute sa vérité. N’ayant plus toute sa tête, il n’en est plus capable – si tant est qu’il en eût la volonté. C’est déjà avec beaucoup d’effort qu’un jour, quelques décennies plus tôt, il a appris à Ilaria et à ses deux frères qu’ils avaient un demi-frère de leur âge, après avoir dissimulé cette double vie pendant de longues années. Cette fois-ci, l’arrivée d’un jeune homme à la peau noire, qui se présente au domicile d’Ilaria après un long et difficile périple depuis l’Éthiopie, va entraîner la révélation d’un autre pan de la vie d’Attilio Profeti.

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Tous, sauf moi procède à la mise au jour progressive du passé d’un homme qui fait écho au passé de son pays, l’Italie, à l’époque du fascisme, plus particulièrement entre 1936 et 1941, quand Mussolini occupait l’Éthiopie. L’objectif de Francesca Melandri était ambitieux : faire résonner l’histoire et l’intime pour mettre en relation deux événements que plus d’un demi-siècle sépare, un joug colonial et un flux migratoire.

C’est une pleine réussite. Tous, sauf moi est même un roman littérairement impressionnant. Il alterne avec la même aisance des séquences spectaculaires, comme la prise d’une grotte où se sont réfugiés des résistants éthiopiens par des soldats de Mussolini à l’aide de gaz, des interrogations introspectives, notamment de la part d’Ilaria, aussi intransigeante que généreuse, ou de cinglantes considérations sur la situation ­politique de l’Italie contemporaine. Les chapitres du présent et du passé s’entrechoquent, à l’image du jeu de miroirs qui existe entre les deux époques, mais jamais le lecteur n’est perdu : la science de la construction de l’auteure étant confortée par la souplesse de sa langue traduite par Danièle Valin, dont on connaissait déjà la qualité du travail avec l’œuvre d’Erri De Luca.

À lire les pages de remerciements que Francesca Melandri détaille avec précision, on prend la mesure de ce que le roman contient d’implication personnelle, mais aussi de sa dimension collective, tant la romancière a multiplié les rencontres sur les deux continents. C’est un beau symbole, pour un livre si pénétrant du monde et de l’être humain, qui montre une nouvelle fois que la littérature est à la fois chair et pensée.

Tous, sauf moi, Francesca Melandri, traduit de l’italien par Danièle Valin, Gallimard, 576 pages, 24 euros.

Littérature
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