Au fil de l’eau et des mots

Anne-James Chaton publie L’Affaire La Pérouse, sur un mystérieux naufrage, et participe à ZOO, une pièce inspirée de La Ferme des animaux d’Orwell.

Jérôme Provençal  • 8 mai 2019 abonné·es
Au fil de l’eau et des mots
© photo : ZOO, fable poético-politique de Valeria Giuga.crédit : Pierre Ricci

S’inscrivant dans le sillage artistique de Bernard Heidsieck, Anne-James Chaton – dont le nom glisse si joliment dans l’oreille – compte parmi les voix majeures de la poésie sonore en France. On peut entendre l’une de ses pièces (1) dans l’exposition que le Palais de Tokyo consacre actuellement à cette forme moderne de poésie. On peut aussi le voir et l’entendre en action dans une performance (Some Songs) fraîchement mise en ligne sur le site internet du Jeu de paume.

En parallèle de ses prestations scéniques, effectuées seul ou en collaboration avec des musiciens ou créateurs sonores, Anne-James Chaton conçoit régulièrement des livres. Dans L’Affaire La Pérouse, son nouvel ouvrage, il se penche sur l’une des grandes énigmes de l’histoire maritime française – un projet d’écriture né précisément au bord de la mer.

« Me trouvant en résidence à Tanger en 2014, je me rendais tous les matins dans un café avec une terrasse donnant sur le détroit de Gibraltar, raconte l’auteur. De là, je voyais passer des bateaux naviguant entre la Méditerranée et l’océan Atlantique. À ce moment-là, je lisais 20 000 Lieues sous les mers de Jules Verne, un auteur que je fréquente beaucoup depuis des années. Il se trouve que Jules Verne évoque l’expédition La Pérouse dans ce roman. Ça a éveillé mon intérêt, j’ai cherché à en savoir davantage et l’idée d’un livre a émergé peu à peu. »

Le 1er août 1785, deux imposants navires – L’Astrolabe et La Boussole – quittent le port de Brest sous le commandement de Jean-François de Galaup, comte de La Pérouse. Partis pour une expédition de quatre ans autour du monde, avec 220 hommes à bord au total, les deux bateaux vont disparaître en 1788 quelque part dans l’immensité de l’océan Pacifique… Comment et où exactement le drame est-il survenu ? Que sont devenus les survivants, s’il y en a eu ?

Suscitant de nombreuses questions, l’expédition La Pérouse va alimenter d’infinies conjectures et captiver enquêteurs, historiens et écrivains au fil des années. Si les recherches entreprises durant plus de deux siècles ont permis de lever une grande partie du mystère, certains points demeurent obscurs et l’expédition reste aujourd’hui nimbée d’une aura légendaire. « L’énigme se résout petit à petit, précise Anne-James Chaton, mais je vais plutôt dans le sens contraire, en m’efforçant de réactiver le mystère entourant cette affaire. »

La fiction s’attache ainsi à reprendre le dessus sur le réel dans L’Affaire La Pérouse. Construit autour de vingt-deux hypothèses (l’accident, la maladie, la mutinerie, les cannibales, se suicide, etc.) plus ou moins détaillées et entrecoupées d’embardées diverses (notamment des chants de marins), le livre cherche avant tout à stimuler l’imaginaire, à ouvrir des pistes plutôt qu’à clôturer le dossier.

Puisant dans les archives et les ouvrages sur le monde maritime autant que dans des romans (Defoe, Stevenson, Melville), l’auteur navigue tout du long entre enquête et récit d’aventure avec une grande liberté de manœuvre dans la forme, marquée en particulier par l’usage de la répétition et de l’énumération – deux procédés d’écriture chers à Anne-James Chaton.

Porteur en creux d’une ode à l’aventure, le texte s’échappe aussi du livre pour se déployer sur scène via une adaptation réalisée par l’auteur avec l’artiste sonore Manuel Coursin, musiques, bruitages et autres effets sonores s’ajoutant aux mots.

Très fertile, le printemps 2019 d’Anne-James Chaton est en outre marqué par la création de ZOO, pièce de la chorégraphe Valeria Giuga, dont il signe et interprète le texte, composé à partir de sources diverses. S’y entendent, entre autres, des fragments d’un discours haineux de Mussolini, prononcé en 1928, « d’une terrifiante actualité ». Reliant La Ferme des animaux, fameuse contre-utopie de George Orwell, avec des éléments chorégraphiques de Mary Wigman, pionnière de la danse moderne, la pièce prend la forme d’une fable poético-politique, à la lisière du fantastique.

L’Affaire La Pérouse, POL, 160 pages, 16,90 euros.


(1) La Voix libérée. Poésie sonore, jusqu’au 12 mai au Palais de Tokyo, Paris.

(2) ZOO, 16 et 17 mai au Carreau du Temple, Paris.

Rencontre lecture le 11 mai à Mantes-la-Jolie, www.annejames chaton.org

Littérature
Temps de lecture : 4 minutes