Bobbie Gentry, égérie rauque

Mercury Rev offre une série de voix féminines à l’auteure de « Ode To Billy Joe ».

Jacques Vincent  • 7 mai 2019 abonné·es
Bobbie Gentry, égérie rauque
© crédit photo : Alise Marie

Interprétée en français par Joe Dassin puis Eddy Mitchell, « Marie-Jeanne », célèbre tragédie rurale, est l’adaptation d’« Ode To Billy Joe » de Bobbie Gentry, chanteuse originaire du Mississippi, à peu près inconnue à la parution du titre en 1967. « Ode To Billy Joe » est élue chanson la plus populaire de l’année et Bobbie Gentry reçoit l’année suivante l’award du meilleur nouvel artiste. Un succès fulgurant qui n’entraîne pourtant pas celui de son ­deuxième album, paru en 1968, The Delta Sweete Revisited.

Certains ont pu voir là une injustice, dont, manifestement, Mercury Rev. Le groupe, qui s’est fait remarquer dès ses débuts autant par la qualité de ses compositions que par la singularité de son univers, s’est lancé dans une entreprise insolite de réhabilitation de l’album en le réenregistrant en entier. Pas question néanmoins de faire interpréter ces chansons par des voix masculines. Il fallait donc aller chercher en dehors du groupe. Pour compliquer encore l’affaire, plutôt que de confier le rôle à une seule chanteuse, il a été décidé d’en choisir une par titre. En essayant d’être au plus près de l’originale et de sa voix de gorge, rauque et feulante, animale en un mot.

On voit ainsi, pour ne citer que quelques séquences, Norah Jones ouvrir le bal avec « Okolona River Bottom Band » ; Hope Sandoval, de Mazzy Star, la voix hantée comme toujours, s’emparer de « Big Boss Man » (une des reprises figurant sur l’album original) ; Lætitia Sadier (Stereolab) chanter « Mornin’ Glory » presque (mais c’est déjà beaucoup) comme Nico chantait avec le Velvet, dans une sorte de transe majestueuse ; Beth Orton arrêter le temps avec « Court­yard » ; et, enfin, Lucinda Williams se lancer à corps, cœur et âme perdus dans « Ode To Billie Joe », qui d’ailleurs ne figurait pas sur l’album à l’origine.

Avec son sens du grandiose, Mercury Rev tisse des arrangements élégiaques, un son de cathédrale avec ce qu’il faut d’écho et d’obscurité, met à l’ouvrage toute sa panoplie instrumentale pour déployer d’immenses drapés qui tombent comme des cataractes sonores enveloppant l’ensemble dans une sorte de brume électrique. Il ne s’agit pas seulement de revisiter un disque mais aussi de rendre hommage à une chanteuse dont il serait dommage de se souvenir pour un seul titre ou, pire, ne pas se souvenir du tout. Mission accomplie.

Bobbie Gentry’s The Delta Sweete Revisited, Mercury Rev, Pias.

Musique
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