Françoise Sivignon : Au service des urgences

Radiologue, ancienne présidente de Médecins du monde, Françoise Sivignon se présente aux européennes aux côtés de Benoît Hamon. Un parcours ponctué de convictions.

Jean-Claude Renard  • 1 mai 2019 abonné·es
Françoise Sivignon : Au service des urgences
© crédit photo : DR

Nevers, années 1960. Entre une mère au foyer et un père médecin, issu d’une famille de mineurs à Decazeville (Aveyron), à l’accent rocailleux et à la sensibilité proche des socialistes radicaux, Françoise Sivignon grandit au milieu de deux frères et d’une sœur aînée. C’est encore l’époque où filles et garçons sont séparés, où l’on se rend au lycée en blouse avec son nom brodé sur le tissu gris. La petite Françoise « rêve d’ouvrir les portes et de découvrir [ses] rêves ». Ça ne traînera pas. La scolarité s’avance paisiblement, « en chef de classe prompte à revendiquer, à faire valoir [ses] droits », dans une petite ville trop paisible. Le bac en poche, à 16 ans, elle monte aussitôt à la capitale pour s’inscrire à la faculté de médecine. Logée dans un foyer, guère surveillée, elle s’engouffre dans les salles de cinéma tous les soirs. Un film reste en mémoire : Les Valseuses. Un début dans la vie. « Quand on vient d’une ville comme Nevers et qu’on découvre toute l’animation parisienne et la culture, on ne résiste pas », s’enthousiasme-t-elle encore.

Sept années d’études où la culotte s’use sur les bancs de l’amphithéâtre Binet, rue des Saints-Pères, stages à l’hôpital Cochin et en dehors de Paris, à Mantes-la-Jolie, où Françoise Sivignon se trouve d’emblée « dans le bain », d’un service à l’autre en passant par les urgences. Un moment hésitante sur l’anesthésie, elle choisit la radiologie. « Parce que j’aime parler aux gens, ce qui n’est pas vraiment le cas en anesthésie ! En échographie, on est directement au contact des patients, dans un rapport singulier, dans l’intimité, la proximité et l’attente d’un résultat, où l’on n’est pas fier. C’est aussi un examen qui permet de comprendre la douleur des gens, d’échanger, de créer un lien, même si cela reste un temps suspendu. En radiologie, on ne donne pas de traitement, mais on est aux premières loges. »

Des années durant, la jeune médecin multiplie les remplacements, suivant son envie « de bougeotte » et le refus de s’installer définitivement en cabinet, cependant qu’elle suit sa famille à travers le monde. Des États-Unis à l’Écosse, de l’Angleterre aux Pays-Bas. Hasard de l’existence ou pas, ses premières années d’exercice coïncident avec l’arrivée de l’épidémie du sida. Et de s’intéresser alors aux associations de lutte contre la maladie, de concert avec les infectiologues, « dans une période absolument terrible. On voyait des gens très jeunes avec une perspective de vie à quelques semaines ou quelques mois ». Elle travaille sur une imagerie jusque-là inconnue, aux côtés de Willy Rozenbaum, « sur des choses qu’on n’avait jamais vues ». C’est là qu’on devient militant, « avec des patients eux-mêmes militants, à Paris en tout cas, au sein d’une communauté homosexuelle, principalement touchée, qu’il fallait accompagner. C’est une période où le rapport médecins-patients s’est inversé, où les patients voulaient comprendre et bousculaient la médecine ».

Début de carrière violent s’il en est. Mais qui conduit Françoise Sivignon, au fil des voyages, à rencontrer, en 2002, Claude Moncorgé, anesthésiste et président de Médecins du monde. Une priorité pour elle : s’engager. Bénévolement. Sa première mission se déploie en Birmanie, sur un projet de lutte contre le VIH chez les usagers de drogues. Loin des prises en charge en Europe, dans le carcan d’un pays sous le joug d’une dictature féroce. Suivent d’autres missions, en Corée du Nord, en Irak, en Côte d’Ivoire, au Congo… Les fonctions itou : membre du conseil d’administration puis présidente de l’organisation entre 2015 et 2018, toujours bénévole, préoccupée par les questions migratoires, les populations les plus vulnérables comme les mineurs non accompagnés. Toujours assurant des remplacements en radiologie – jusqu’à il y a six mois encore. En ce début d’année 2019, elle est approchée par Benoît Hamon, qui lui propose une place éligible (6e) sur sa liste européenne. Le programme présidentiel, déjà, l’avait séduite, elle accepte.

Pour Françoise Sivignon, cette présence s’inscrit dans la continuité. « S’il existe des nuances d’activités et d’interventions, le socle de l’engagement, les moteurs restent les mêmes. C’est peut-être une forme d’utopie, mais ce que j’attends de cette campagne et de ses résultats, ce sont des combats gagnés. C’est ce que je visais à Médecins du monde. Quand on est confronté aux inégalités sociales, il y a des moments où on est obligé de se fixer des objectifs et de gagner des combats ! On est dans un monde terriblement inégalitaire et au bout d’un modèle productiviste qu’on n’a pas su gérer d’un point de vue social et environnemental. »

C’est bien cette urgence qu’elle entend maintenant réparer, soigner, fière de figurer sur « une liste très ouverte » où se pêlent-mêlent plus de personnalités de la société civile que de purs politiques pour défendre une pluralité d’idées sur la santé, les perturbateurs endocriniens, les pesticides, les lobbys européens, le rapport au travail. Un vaste chantier. Soit. Et alors ? Pas plus que lorsqu’on quitte Nevers pour l’amphithéâtre Binet.

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