Journalistes, rangez vos papiers !

Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, la liberté d’informer et d’être informé est largement entravée.

Jean-Claude Renard  • 8 mai 2019 abonné·es
Journalistes, rangez vos papiers !
© crédit photo : Valentino BELLONI / Hans Lucas / AFP

Si l’arsenal répressif s’est amplement renforcé ces six derniers mois à l’encontre des manifestants, c’est aussi la liberté d’informer qui dérouille. Les exemples ne manquent pas. Depuis le début du mouvement, 79 journalistes « ont été victimes de violences policières, relève l’écrivain et journaliste David Dufresne, recensant toutes ces violences sur son compte Twitter. La nouvelle loi anticasseurs renforce encore l’arbitraire et met un peu plus en danger la liberté de la presse ». Selon un communiqué du syndicat SNJ-CGT, « des dizaines de consœurs et confrères ont été empêchés de travailler, injuriés, agressés, matériels saisis et détruits, cartes de presse subtilisées. Des journalistes ont été visés délibérément par les forces de l’ordre et blessés ». C’était encore le cas à Toulouse, lors de l’acte 23 des gilets jaunes, samedi 20 avril, tandis qu’à Paris la garde à vue du journaliste et vidéaste indépendant Gaspard Glanz et les conditions iniques de son interpellation ont mobilisé les rédactions.

Une obsession reine : empêcher partout les journalistes d’exercer leur métier. Plusieurs dizaines de journalistes ont porté plainte après avoir été victimes de coups, de gaz lacrymogènes ou de grenades de désencerclement. Trois cents médias et journalistes de terrain ont publié, le 1er mai, une tribune sur le site de France Info pour protester contre « les multiples violences d’État » dont ils estiment faire l’objet. Et pourtant : en février, les députés européens votaient une résolution (à 438 voix pour, 78 contre et 87 abstentions) réprouvant « le recours à des interventions violentes et disproportionnées de la part des autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques ». Une résolution qui « prend acte du rôle important des journalistes et des photojournalistes dans le signalement des cas de violence excessive et condamne toutes les situations dans lesquelles ils ont été délibérément pris pour cibles ».

Cette entrave au droit d’informer ne touche pas que le mouvement des gilets jaunes. Début avril, dans la Sarthe, un rédacteur du quotidien régional Le Maine Libre était convoqué par les gendarmes pour avoir couvert le décrochage d’un portrait officiel du président de la République dans la petite mairie de Rouillon. Un décrochage orchestré par des militants écologistes pour dénoncer l’inaction du gouvernement face au réchauffement climatique. Pareille convocation et pour les mêmes raisons surréalistes a été reçue par un rédacteur de Ouest-France. Plus récemment, ce sont trois autres journalistes qui ont été convoqués par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), après avoir révélé dans le nouveau média Disclose l’utilisation d’armes françaises au Yémen. Une convocation pour « compromission du secret de défense nationale ». Au but à peine dissimulé : découvrir les sources des journalistes. À l’évidence, on tente plus que jamais de museler, intimider la presse, et la Macronie supporte mal son indépendance. Dans ce contexte, sociétés des journalistes et sociétés des rédacteurs ont dénoncé le silence tenace du ministre de la Culture, Franck Riester, censé défendre l’indépendance et la liberté de la presse.

Désireuse de placer cette liberté au cœur des préoccupations de l’Union européenne, dans le cadre des prochaines élections, l’organisation Reporters sans frontières a réclamé, le mois dernier, la création, notamment, d’un poste de commissaire européen « exclusivement chargé de la liberté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information », doté d’un pouvoir de sanctions, susceptible d’examiner par pays le respect de la liberté de la presse et de commander une enquête publique dans les cas les plus graves de violation. En attendant, « au vu des incidents les plus récents », les syndicats SNJ, SNJ-CGT et CFDT-journalistes ont demandé, jeudi 2 mai, un rendez-vous urgent au Premier ministre et au président de la République « pour leur faire part de la réprobation de la profession et obtenir au plus haut niveau de l’État l’engagement que cessent ces attaques du gouvernement contre les libertés constitutionnelles que sont la liberté d’informer et celle d’être informé ». Le lendemain, vendredi 3 mai, le chef de l’État a reçu Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, et promis que « des actions » seront engagées pour sanctionner les violences policières contre les journalistes. En effet, il y a urgence. Mais peut-on y croire réellement ?