Le LBD dans le viseur d’un député Suisse

L’exportation vers la France du lanceur de balles de défense de fabrication suisse, vivement critiqué pour son utilisation contre les gilets jaunes, serait potentiellement illégale au regard du droit helvète, soutientf un élu de Genève.

Romain Haillard  • 29 mai 2019
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Le LBD dans le viseur d’un député Suisse
© Zakaria ABDELKAFI/AFP

Un député helvète tire à boulet rouge sur le lanceur de balles de défense de fabrication suisse (LBD 40). Guy Mettan a proposé au grand conseil du canton de Genève, un Parlement local, une résolution pour interdire d’exporter l’arme vers la France. Déposée la semaine dernière, la demande devra cependant passer de nombreux filtres et votes avant d’aboutir à une décision du Conseil fédéral, organe exécutif du pays. « Ce n’est pas gagné, mais ça pourrait marcher, ma résolution n’est pas excessive », juge l’élu avant d’ajouter : « Mais elle donnera lieu à un intense lobbying contre. »

Dans son récapitulatif « Allô Place Beauvau, c’est pour un bilan (provisoire) », le journaliste David Dufresne a répertorié 292 signalements de manifestants blessés par un LBD 40. L’arme désignée « à létalité réduite » par son fabricant suisse Brügger & Thomet (B&T), est notamment responsable de nombreuses énucléations. Près d’un millier de gilets jaunes avait manifesté en février devant l’ONU à Genève, notamment contre les violences policières. Un cri de détresse entendu par Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. L’ancienne présidente chilienne avait notamment appelé en mars les autorités françaises à enquêter pour « usage excessif de la force ».

Du « matériel de guerre » contre des civils

Dans sa proposition de résolution, Guy Mettan brandit une ordonnance suisse du 25 février 1998 sur le matériel de guerre. Son article 5 émet des critères pour l’exportation d’armes vers des pays étrangers, notamment le respect des droits de l’homme par le pays importateur. La vente de telles armes doit être interdite _« s’il y a de forts risques que, dans le pays de destination, le matériel de guerre à exporter soit utilisé contre la population civile ».

La qualification de « matériel militaire » du lanceur décrié ne fait plus débat depuis la publication d’un article du Canard enchaîné. Dans un numéro d’avril, le palmipède avait révélé le désarroi de l’État français, désormais tenu de faire avaliser les commandes de nouveaux LBD par le ministère des Armées. La réglementation internationale classifie le lanceur en catégorie A2, code pour le « matériel de guerre ». Une information confirmée par le Conseil fédéral suisse dans un avis publié le 15 mai, en réponse à une question formulée par un élu socialiste : _« Le LBD40 est en principe considéré comme du matériel de guerre. »

Une mauvaise balle dans le canon

Pour fonder une interdiction d’exportation du lanceur de balles de défense, Guy Mettan pointe les mésusages de la France. « La situation est aggravée par l’emploi par la France de munitions plus dangereuses et non conformes au mode d’emploi du fabricant suisse », indique dans sa résolution le député. L’entreprise d’armement Brügger & Thomet, sous le feu des critiques après la constatation de nombreuses mutilations de manifestants, avait en effet pris ses distances avec ses clients français. « Les munitions utilisées en France n’ont pas été conçues, fabriquées ni livrées par B&T AG », se défendait la société dans une communiqué de presse avant de conclure : « En cas d’utilisation de munitions des autres fabricants, il y a le risque que la précision baisse et le risque de blessure augmente considérablement. »

Déjà, les munitions du fabricant suisse, placée dans un lanceur maintenu à position fixe, à 25 mètres d’une cible, peuvent se disperser sur 7 centimètres. Une précision imparfaite, obtenue en laboratoire, sans les tremblements d’un tireur, ni les mouvements d’une cible.

Le député en lutte pour interdire l’exportation de LBD vers la France tempère l’effet de son action : « La procédure pourrait aboutir dans une, voire deux années… Mais c’est avant tout un signal politique à l’impact purement symbolique. » Le 18 mai encore, un gilet jaune de 16 ans, Axel, a été frappé par un tir de LBD en pleine tête selon le quotidien régional L’Union. Les corps, eux, continuent d’être marqués… Symboliquement ?

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