ADP : Le caillou dans la chaussure de Macron

La campagne pour le référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris contrecarre les plans élyséens. Elle gèle, de fait, la mesure, mais fédère aussi ses opposants au nom de la démocratie.

Michel Soudais  • 3 juillet 2019 abonné·es
ADP : Le caillou dans la chaussure de Macron
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Info ou intox ? « La privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), c’est fini », affirme Le Canard enchaîné (26 juin). « En privé, Emmanuel Macron ne cache pas qu’elle est devenue impossible », poursuit le palmipède, qui rapporte que le Président aurait confié à ses visiteurs qu’« elle n’est pas comprise par l’opinion ». Pour autant, apprend-on, l’Élysée et Bercy refuseraient de « communiquer publiquement sur cette reculade » au prétexte, répéterait le chef de l’État à ses troupes, qu’il faut que la procédure de référendum d’initiative partagée (RIP) aille « jusqu’au bout » sans donner l’impression de mépriser les Français signataires de la demande de référendum.

Ainsi donc, deux semaines seulement après le lancement d’une procédure qui doit durer neuf mois et recueillir 4,7 millions de signatures d’électeurs pour aboutir, Emmanuel Macron renoncerait à privatiser ADP, un des principaux opérateurs aéroportuaires mondiaux avec 3,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017 ? Pour les parlementaires à l’initiative de cette procédure, l’indiscret du Canard, corroboré par aucune autre source, ressemble à une manœuvre destinée à démobiliser les électeurs susceptibles d’appuyer la demande de référendum pour empêcher que les infrastructures stratégiques gérées par ADP dans une situation de monopole de fait ne tombe aux mains du privé. Vrai ou faux, il traduit l’embarras de l’exécutif face à une contestation aussi inédite qu’imprévue.

L’activation de la procédure du RIP par quelque 250 parlementaires allant de La France insoumise aux Républicains est une épine dans le pied du gouvernement, qui avait réussi à faire voter par sa majorité la privatisation d’ADP dans le cadre de la loi Pacte, adoptée le 11 avril. L’exécutif a d’abord espéré, à tort, que la procédure serait invalidée par le Conseil constitutionnel. Quand les Sages ont donné leur feu vert au recueil de signatures d’électeurs, Matignon a dénoncé « une situation dangereuse pour la conduite de l’action publique », un ministre y voyant même « une attaque contre la démocratie représentative ». Et pour sa part, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, était contraint de confirmer qu’aucune décision sur la privatisation ne serait prise durant les neuf mois que durerait la procédure, appelant à la « patience ».

Si les oppositions de gauche et de droite n’ont pas caché vouloir faire de cette bataille pour un référendum un « tournant du quinquennat » et obtenir enfin une victoire contre la politique d’Emmanuel Macron en défendant une certaine idée du rôle de l’État, le gouvernement n’a pas montré beaucoup d’empressement pour permettre l’expression des électeurs. Ouvert le 13 juin à minuit, la plateforme Internet gérée par le ministère de l’Intérieur et chargée de recueillir les signatures de citoyens a connu de nombreux bugs et même « un problème de paramétrage » sur un des serveurs l’hébergeant. « La mauvaise ergonomie ainsi que les nombreux dysfonctionnements de cette plateforme illustrent sa totale inadaptation aux enjeux », note le collectif RepublicTech, qui rassemble des acteurs de la civictech française. Son communiqué interpelle vertement les pouvoirs publics sur l’écart existant « entre le potentiel technologique du pays et l’appropriation des applications numériques par nos institutions ».

Un écart vraisemblablement voulu comme l’est l’absence de publicité donnée à la procédure. Interrogé à l’Assemblée lors du lancement du recueil de signatures, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, avait assuré souhaiter « la diffusion la plus large et la plus libre possible » de l’information sur le référendum. En même temps, comme disent les macroniens, il excluait quelques jours plus tard dans un courrier adressé à la Coordination nationale du référendum, constituée par des parlementaires à l’origine du RIP, de mettre en place un compteur officiel du nombre de signatures et de mettre de l’argent public dans la promotion du RIP : « Le législateur n’a pas prévu de prise en charge financière par l’État des frais exposés lors de cette campagne. » Le législateur n’avait pas non plus prévu de financer le « grand débat » national voulu par Emmanuel Macron… Cela n’a pas empêché le gouvernement de débloquer 12 millions d’euros. Il est vrai qu’il s’agissait alors de permettre au chef de l’État relancer son quinquennat étrillé par les gilets jaunes. Et non de mobiliser des électeurs, dont il connaît l’hostilité à ce type de privatisation.

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