Assurance chômage : des vies en jeu

Veut-on se diriger vers le modèle allemand, avec un très fort taux de chômeurs en risque de pauvreté ?

Sabina Issehnane  • 10 juillet 2019
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Assurance chômage : des vies en jeu
© crédit photo : Christoph Soeder / DPA / dpa Picture-Alliance / AFP

Un document de l’Unedic a révélé récemment qu’1,2 million de demandeurs d’emploi indemnisés ayant travaillé de manière discontinue verront leur allocation diminuer à la suite de la prochaine réforme de l’assurance-chômage. Deux mesures conjointes entraîneront cet effet désastreux pour nombre de personnes. La première est l’augmentation de la durée d’affiliation ouvrant des droits à l’assurance chômage. Au lieu des 4 mois auparavant nécessaires afin d’en bénéficier, il faudra désormais travailler au moins 6 mois sur les 24 derniers mois. La prochaine réforme vise également à modifier le seuil minimum de rechargement des droits, qui passera de 1 à 6 mois.

Pour justifier cette réforme, la comparaison avec l’Allemagne est mise en avant, alors que les réformes Hartz, mises en place dans ce pays entre 2003 et 2005, ont entraîné une aggravation de la pauvreté chez les chômeurs et les travailleurs précaires. Près de 8 millions de personnes y exercent un mini-job, ces emplois à temps partiel à moins de 450 euros par mois sans cotisations sociales. Les réformes ont accru le nombre de personnes devant cumuler deux emplois pour survivre et le nombre de temps partiels. Encore une fois, ce sont les femmes qui en pâtissent le plus. L’Allemagne est le pays d’Europe qui connaît le plus fort taux de chômeurs en risque de pauvreté. Même si la France connaît un taux inférieur, avec plus d’un tiers des chômeurs en situation de pauvreté, leur situation est plus que préoccupante. Veut-on se diriger vers ce « modèle allemand » ? Est-ce cela, le progrès ?

Surtout, la nouvelle réforme va modifier le système de calcul de l’activité réduite. Sous prétexte qu’« on ne doit pas gagner davantage au chômage qu’en travaillant », les indemnités chômage seront désormais calculées sur le revenu mensuel moyen de travail, et non plus sur les jours travaillés. Alors que les demandeurs d’emploi qui exercent une activité réduite – les catégories B et C de Pôle emploi – ont triplé depuis les années 1990 et doublé depuis la crise ouverte en 2008, il s’agit encore une fois de faire des économies en diminuant l’allocation qui leur sera versée.

Deux autres effets vont se cumuler. D’une part, certains allocataires subiront une diminution de leur durée d’indemnisation, puisque le calcul de la durée d’affiliation ne se fera plus sur 28 mois mais sur 24 pour les moins de 53 ans. Encore une fois, nous assisterons à un phénomène de transfert de la prise en charge de ces demandeurs d’emploi du système d’assurance chômage vers le système de solidarité (RSA et prime d’activité), dans un contexte où 20 % des chômeurs de catégorie A sont déjà indemnisés par le RSA. D’autre part, moins de demandeurs d’emploi pourront ouvrir des droits, alors même que moins d’un demandeur d’emploi sur deux est aujourd’hui indemnisé en France. Loin de l’« effet Bahamas », toutes les études qualitatives montrent que les chômeurs désirent seulement vivre de leur travail. Loin des calculs, ils n’espèrent qu’une chose : un peu de dignité.

Sabina Issehnane est économiste, maître de conférences à Rennes-II

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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