Le riz sauvage reconnu sujet de droit

Première espèce végétale à se voir conférer un statut légal, le manoomin récolté dans la réserve indienne de White Earth, dans le Minnesota, protège ainsi les habitats et l’eau dont il dépend.

Valérie Cabanes  et  Marie Toussaint  • 17 juillet 2019
Partager :
Le riz sauvage reconnu sujet de droit
© photo : Des membres des nations lakota, sioux et ponca manifestent en 2014 contre le projet d’oléoduc Keystone XL.crédit : CHIP SOMODEVILLA/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP

Une révolution juridique est en cours pour interrompre la dégradation des écosystèmes et l’érosion de la biodiversité. Des droits sont reconnus à la nature sur tous les continents. Il s’agit de créer une jurisprudence de la Terre et de conférer des droits spécifiques à chaque espèce et système. Cette année, une nouvelle étape a été franchie. Pour la première fois, une espèce végétale a été reconnue sujet de droit. Il s’agit d’une variété de riz sauvage. Un riz blanc au grain entièrement naturel qui pousse dans les eaux claires et froides du nord du Minnesota. Le grain lui-même est en réalité produit à partir d’une herbe annuelle herbacée qui s’élève à une hauteur de 1 à 2,5 mètres, les cosses émergeant au-dessus de la surface de l’eau.

Valérie Cabanes Juriste, porte-parole de End Ecocide on Earth.

Marie Toussaint Juriste, cofondatrice de Notre affaire à tous et députée européenne EELV.

Le riz sauvage est l’une des deux seules céréales originaires d’Amérique du Nord. Il est récolté à la main à bord de pirogues non motorisées par une communauté ojibwé du Minnesota vivant dans la réserve indienne de White Earth. Cette nation souveraine a adopté une loi sur les droits de ce riz appelé manoomin, considérant nécessaire de codifier un droit coutumier non respecté par les non-autochtones. La loi garantit sa protection dans la réserve et hors réserve, soit sur près de 340 000 hectares, ainsi que les habitats dont il dépend. Selon ce texte, ces droits ont été reconnus car « il est devenu nécessaire de fournir une base légale pour protéger le riz sauvage et les ressources en eau douce […] pour les générations futures ». Il commence ainsi : « Le manoomin, ou riz sauvage, dans tous les territoires cédés par les Chippewas (Ojibwés), possède le droit inhérent d’exister, de s’épanouir, de se régénérer et d’évoluer, ainsi que le droit inhérent à la restauration, au rétablissement et à la conservation. » Le manoomin a donc « le droit à une eau saine et à son habitat d’eau douce, le droit à un environnement naturel exempt de pollution industrielle, le droit à un climat sain et stable, exempt d’impact des changements climatiques dû à l’homme, le droit de ne pas subir de pollution, de ne pas être breveté et contaminé par des organismes génétiquement modifiés ».

La communauté de White Earth s’est opposée à l’oléoduc controversé Line 3 (Minnesota) d’Enbridge Energy. Cet ouvrage à 2,6 milliards de dollars a l’ambition d’acheminer du pétrole des sables bitumineux canadiens jusqu’au terminal d’Enbridge à Superior (Wisconsin). Même s’il n’est pas prévu qu’il passe par la réserve, il traverserait les eaux non tribales où les tribus ont le droit de chasser, de pêcher et de récolter du riz en vertu de traités. En octobre dernier, Enbridge a déposé une demande de certification de la qualité de l’eau pour l’oléoduc auprès de la Minnesota Pollution Control Agency. Si la population de White Earth s’oppose à la certification, elle peut aller en justice avec cette nouvelle loi en main, car le riz sauvage est spécifiquement mentionné dans le traité de 1855 signé avec la puissance coloniale.

« Les traités sont la loi suprême du pays et nous, les Chippewas, avons des droits de propriété protégés par la Constitution et des droits d’usufruitiers pour chasser, pêcher, piéger et cueillir le riz sauvage », a expliqué Frank Bibeau, directeur général de l’Autorité des traités de 1855. « Nous avons conscience que l’eau c’est la vie pour tous les êtres vivants et que la protection d’une eau abondante, propre et douce est essentielle à nos écosystèmes et à nos habitats sauvages pour subvenir à nos besoins et à ceux du manoomin. »

Plusieurs nations indiennes aux États-Unis basculent ainsi d’un droit coutumier à un droit codifié pour se donner les moyens de résister à des projets industriels. En 2016, la nation Ho-Chunk, dans le Wisconsin, a modifié sa Constitution tribale pour y enchâsser les droits de la nature, après des années d’impacts environnementaux résultant de l’exploitation de sables bitumineux par fracturation, du transport de pétrole issu du gisement Bakken dans le Dakota du Nord, et de l’agro-industrie. En 2017, la nation Ponca, dans l’Oklahoma, a adopté une loi reconnaissant les droits de la nature, qui répond à sa propre lutte contre la fracturation hydraulique. Casey Camp-Horinek, membre du conseil tribal ponca, a alors lancé comme un appel à tous les peuples : « C’est à tous les humains d’agir parce que nous parlons pour ceux qui n’ont pas de voix, pour les cerfs, le bétail, ceux qui volent. Dans notre tribu, désormais, des personnes meurent chaque semaine. Il est temps de prendre position pour notre peuple et de défendre la Terre. »

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don