Le grand tri

Dans une époque de confusions navrantes, ça serait bien de faire preuve d’un petit surcroît de vigilance.

Sébastien Fontenelle  • 28 août 2019 abonné·es
Le grand tri
© Crédit photo : Edouard Richard / Hans Lucas

Dans le cours de l’été, je suis tombé, à retardement, sur l’enregistrement stupéfiant de l’intervention durant laquelle l’économiste Bernard Friot avait déclaré, au mois de mars dernier (devant un parterre où cette profération semble avoir tout de même jeté un début d’embarras) : « Je le dis avec fermeté, hein, je suis ami d’Étienne Chouard (1), hein, s’il y a des antifas dans cette, heu, assemblée. »

Puis d’ajouter : « Les antifas sont les symétriques des fas. » C’est-à-dire – j’y insiste un peu (et en italique), parce que c’est pas non plus tous les jours qu’on découvre dans des parages qu’on supposait à peu près sûrs des saillies aussi révoltantes : les antifascistes sont les symétriques des fascistes.

Et ça m’a consterné, parce que je l’aime bien, moi, Bernard Friot. (Quand il expliquait, par exemple, qu’il fallait bien regarder à gauche puis à gauche avant de traverser la réforme des retraites, j’étais même assez fan : c’était neuf et tranchant, et stimulant, assurément.)

Puis j’ai ensuite découvert – un peu tardivement, là aussi – qu’après avoir été interpellé sur le Net par un militant antifasciste, justement (2), il était revenu sur ces propos en qualifiant lui-même cette phrase d’« inadmissible (3) » : dont acte.

Mais ce qui serait bien, dans une époque où les confusions les plus navrantes sont quotidiennement banalisées, ça serait que tout le monde fasse désormais preuve d’un petit surcroît de vigilance. Dans le tri de certaines proximités, notamment.

Et que d’aucun·e·s, parmi la gauche, s’abstiennent, par exemple – même après avoir assez fermement répudié ce mot –, de convier dans leurs universités d’été des personnages, extraits du mouvement des gilets jaunes, qui ont auparavant plaidé, comme l’a relevé sur Twitter le camarade Olivier Cyran, pour une alliance de « tous les partis souverainistes, le FN, France insoumise, Dupont-Aignan, Asselineau ».

En d’autres termes, il serait temps de se rappeler que décidément, non : les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis.


(1) Ce personnage, tu sais, qui, lorsqu’on lui demande s’il a un doute personnel sur l’existence des chambres à gaz, répond que « c’est pas » son « sujet » et qu’il n’y connaît « rien », lui, et qu’il n’a « rien lu là-dessus ». (– Robert, doutez-vous que la Terre soit ronde ? – Écoutez, je suis un peu gêné pour vous répondre, je ne l’ai jamais vue d’au-dessus.)

(2) Voir : https://gauchedecombat.net, « Antifas : droit de réponse du Réseau salariat et de Bernard Friot ».

(3) Dans un développement sur ce qui le « sépare de Chouard », Friot écrit également ceci, qui vaut d’être cité un peu longuement : « Je considère que le complotisme est aussi dangereux que démobilisateur. Que la liberté d’expression a et doit avoir des limites légales, entre autres en matière de lutte contre l’antisémitisme. Que lutter contre la “doxa” ne fait pas de la personne un “résistant”, surtout quand la “doxa” à laquelle on “résiste” est l’existence des chambres à gaz. Et que vouloir s’adresser aux électeurs du RN ne passe en aucun cas par la prise au sérieux de ceux qu’ils prennent au sérieux, sauf à risquer d’être une passerelle vers la nébuleuse floue de groupes d’extrême droite très présents sur les réseaux sociaux. »

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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