Égypte : avec le courage pour seule arme

Des centaines de manifestants ont lancé « Sissi dégage ! » les 21 et 22 septembre sur la place Tahrir du Caire et dans plusieurs villes du pays, notamment à Suez.

Denis Sieffert  • 25 septembre 2019 abonné·es
Égypte : avec le courage pour seule arme
© crédit photo : OLIVER WEIKEN/DPA/AFP

Il faut plus que du courage pour oser braver cette dictature égyptienne qui rivalise en cruauté avec le régime syrien. Des centaines de manifestants, jeunes pour la plupart, ont eu ce courage, les 21 et 22 septembre, en scandant des « Sissi dégage ! » sur la fameuse place Tahrir du Caire, tentant ainsi de renouer avec la révolution de décembre 2011 qui avait chassé du pouvoir Hosni Moubarak. Des rassemblements ont également eu lieu dans plusieurs villes du pays, notamment à Suez. Ils ont été rapidement dispersés, et de nombreuses arrestations ont eu lieu. Il est bien trop tôt pour dire si ces manifestants, très minoritaires, peuvent relancer le mouvement démocratique écrasé dans le sang par le maréchal Sissi. Mais ils ont déjà su braver le régime de terreur qui règne sur l’Égypte.

On se souvient qu’après une brève illusion démocratique et l’élection à la régulière du candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, l’armée avait repris les rênes du pays, en juillet 2013, par un coup d’État sanglant, conduit par Abdel Fatah Al-Sissi. Celui-ci avait habilement manœuvré en semblant jouer le jeu de la démocratie. Il avait gagné la confiance d’une partie de la jeunesse. C’est un mouvement initié par de jeunes militants attachés à la démocratie, le mouvement Tamarrod (« rébellion »), mais soutenu en sous-main par l’armée, qui avait créé les conditions de la destitution de Morsi. Après avoir ciblé, et souvent massacré, les Frères musulmans, le régime s’en est pris à la jeunesse, aux démocrates, aux avocats, aux journalistes… C’est que l’Égypte n’est pas la Tunisie. L’armée n’a aucune tradition de soumission à un pouvoir civil. Elle est un acteur économique majeur, propriétaire d’une partie du pays.

Toute contestation contre l’armée est donc une remise en cause d’intérêts fonciers et industriels importants. Ce n’est pas un hasard si la vague de manifestations de ces jours-ci n’a pas commencé par la question démocratique, mais par la révélation de la corruption du régime par un homme d’affaires exilé en Espagne, un certain Mohamed Ali, dont les vidéos sur les réseaux sociaux ont eu un fort retentissement. Il y affirmait que les autorités lui doivent des millions de livres égyptiennes pour des réalisations effectuées par sa compagnie de bâtiment Amlaak, en collaboration avec l’armée, qui supervise la construction de nombreux projets dans le pays. Mohamed Ali a lancé un nouvel appel pour un rassemblement d’un million de personnes vendredi prochain. Un pari extrêmement risqué. Quant au maréchal-président, il serre des mains à l’ONU, surtout celles de ses fournisseurs en armement, états-uniens et français.

Monde
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